Hans Theys ist Philosoph und Kunsthistoriker des 20. Jahrhunderts. Er schrieb und gestaltete fünzig Bücher über zeitgenössische Kunst und veröffentlichte zahlreiche Aufsätze, Interviews und Rezensionen in Büchern, Katalogen und Zeitschriften. 

Diese Plattform wurde von Evi Bert (M HKA : Centrum Kunstarchieven Vlaanderen) in Zusammenarbeit mit der Royal Academy of Fine Arts Antwerpen (Forschungsgruppe ArchiVolt), M HKA, Antwerpen und Koen Van der Auwera entwickelt. Vielen Dank an Fuchs von Neustadt, Idris Sevenans (HOR) und Marc Ruyters (Hart Magazine).

Dennis Tyfus

Dennis Tyfus - 2018 - Génuflexions généreuses d’un gériatre [FR, interview]
, 3 p.

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Hans Theys

 

 

Génuflexions généreuses d’un gériatre

Rencontre avec Dennis Tyfus

 

J’aimerais entamer cette réflexion sur l’exposition « My Niece’s Pierced Knees » de Tyfus par un modeste hommage à Menno Meewis (1954–2012), qui a annexé peu à peu tous les terrains et parcs des environs du Musée Middelheim depuis sa nomination comme directeur en 1993. Un jour, nous roulions dans une voiturette de golf à travers le parc parce qu’il voulait me montrer ce qu’étaient ses plans pour le Parc Nachtegalen qu’il venait d’acquérir. Faisant fi de tous les sentiers de promenade usuels, tel un skateur accompli, il slalomait à travers le bois, grimpant et dévalant les pentes, écrasant sans merci ci et là des plantes naissantes et des petits arbustes.

J’ai rencontré il y a peu le jeune styliste canadien Holden St George, qui m’a raconté qu’il est venu à la mode grâce au skate. « Le skating, l’homosexualité et la mode constituent trois manières de dynamiser l’espace, affirme-t-il. Ce qu’il entend par là, à mon avis, est qu’un skateur qui ne se limite pas à une piste de skate prescrite peut utiliser – en les détournant – tous les objets qu’il rencontre dans l’espace public. Le skateur se déplace le long de voies détournées (Michel de Certeau), tout comme l’homosexuel excité ou persécuté confère une autre affectation aux halls de gare et parterres faiblement éclairés.

L’homosexualité et la mode montrent d’une façon similaire que le monde peut être différent et que nous ne devons pas nous décourager et nous résigner aux prescriptions des pédants, maîtres d’école et directeurs de musée. Les artistes novateurs imposent le droit de pouvoir faire les choses autrement et d’être différents. Ils renouvellent l’art en ne se laissant pas enfermer dans les conventions existantes. Pas parce qu’ils entendent rénover l’art, mais bien parce qu’ils ne veulent ou ne peuvent pas faire autrement. En revendiquant le droit de s’écarter de la norme, ils créent de la place non seulement pour eux-mêmes, mais aussi pour les autres. De la sorte, leur fréquentation entêtée et indocile avec les idées et les formes prend aussi une signification politique en ce qu’elle montre que le monde, ou la manière dont nous l’envisageons, peut être changé. Les artistes créent des espaces où on peut respirer et penser.

Tyfus lui aussi a atterri dans le monde de l’art via le skating – entre autres choses. Lui-même n’était pas un bon skateur, mais il s’était senti attiré par la culture du skate. Il m’a raconté cela en 2003, lorsque je l’ai vu pour la première fois à l’œuvre dans l’espace d’exposition non chauffé de Lokaal 01 qui avait été mis à sa disposition par Vaast Colson. Il était occupé à réaliser un dessin de grand format sur un support peint. Jusqu’à cet instant, je n’avais vu qu’un seul artiste dessiner avec autant de précision. Quelques semaines plus tard, j’appris que le gouvernement avait fait savoir à Tyfus qu’elle estimait que son œuvre « n’était pas pertinente pour l’art contemporain. » J’allai trouver l’artiste, qui avait alors 23 ans, pour l’interviewer et publier un texte dans NieuwZuid dans lequel je prenais sa défense et je tentais d’expliquer à ces messieurs dames de la Haute Commission que personne ne peut savoir si l’œuvre de quelqu’un est pertinente pour l’art contemporain (parce que celui-ci échappe par définition au jugement des soi-disant experts, qui ne peuvent se baser que sur l’ancien), mais qu’on pouvait voir par contre qu’il s’agissait d’un dessinateur fabuleux qui appréhendait le monde d’une manière totalement neuve. Aujourd’hui, quinze ans plus tard, cet artiste a enfin reçu carte blanche d’un organisme public pour créer des œuvres en toute liberté. Le résultat est impressionnant.

Au cours des vingt dernières années, Tyfus a cherché et créé sans interruption des espaces pour organiser des concerts et des moments poétiques comme la Nuit Bamba avec Daniël de Wereldvermaarde Botanicus (Daniel le Célébrissime Botaniste). À l’invitation du Middelheim, il a créé une sculpture en béton qui peut servir également de lieu de rencontre public, accessible séparément.

Dennis Tyfus : « Dans le passé, Sara Weyns s’était déjà informée à plusieurs reprises à propos de contributions potentielles à des expositions de groupe. L’une de mes propositions était un ballet exécuté dans De Singel qui porterait le titre « Ballètjes in tomatensaus » (Ballet de boules en sauce tomate). Lorsqu’elle m’invita pour l’exposition de groupe « Experience Traps », j’ai conçu, en collaboration avec le bureau d’architecture Fvww Architecten, une tribune en béton sous laquelle se trouve un bar qui peut être clos. Elle possède également un podium, de l’éclairage et l’électricité. L’endroit est clôturé comme une prison, mais est accessible aussi bien depuis le musée que depuis la rue, de sorte qu’il peut faire office de sculpture et de lieu de concert.

Toute ma vie, j’ai cherché des endroits où je pouvais faire des choses. En 1996, j’ai découvert VogelVrijStad dans la Meistraat, un bâtiment scolaire squatté où on organisait des trucs. Cet endroit a fait impression sur moi, on y trouvait toutes sortes de gens : des anarchistes, des sans-abri, des poètes, des politiciens, des artistes, des punks… On organisait des concerts dans la cave. Des gens de toutes les générations s’y retrouvaient parce qu’il n’y avait aucun autre endroit en ville où l’on pouvait écouter de la musique étrange et rencontrer des âmes sœurs. Bien sûr, il y avait le Sorm à Deurne et le Lintfabriek à Kontich, où l’on organisait de bons concerts, mais dans le centre-ville, il n’y avait que VogelVrijStad. Par la suite, il a donné lieu, via de nombreux détours, à Scheld’apen ; plus tard encore, j’ai fondé, d’abord avec Vaast Colson et par la suite aussi avec Peter Fengler, Gunther, Stadslimiet et Pinkie Bowtie. Aujourd’hui, la situation à Anvers est différente. Chaque jour, il est possible de découvrir quelque chose dans un endroit fondé par des artistes, comme Troebel Neyntje d’Idris Sevenans, ABC Klubhuis, Forbidden City, Pink House, etc.

L’exposition est accompagnée d’un livre, réalisé par l’artiste Nico Dockx, qui m’a posé une question par jour pendant toute une année. Étant jeune, j’avais déjà entendu parler de Nico comme d’un skateur talentueux qui habitait un village proche. Par la suite, nous avons fait notre chemin, chacun de son côté, jusqu’à ce que je le rencontre l’année dernière en allant chez le boulanger et lui demande s’il accepterait de m’interviewer à l’occasion d’une exposition solo au Project Space 1646 à La Haye. »

Je demande à Nico Dockx (né en 1974) s’il veut nous raconter quelque chose à propos de l’exposition.

Nico Dockx : « Ce qui m’a surtout frappé, et je ne parle pas de l’œuvre en soi, mais de ce qu’elle fait avec le cadre et le public, c’est la fraîcheur énorme, l’énergie énorme qui semblait s’en dégager. Près du livre qu’on pouvait remplir soi-même avec des tampons, on trouvait toutes sortes de gens : des personnes âgées, des enfants, mais également Luc Tuymans et Anny De Decker qui y tamponnaient avec enthousiasme. Pendant le vernissage, beaucoup de gens se comportaient comme s’il s’agissait d’une véritable fête. Aucune trace de l’ambiance usuelle, vieillotte et négative. Les œuvres semblaient mettre en branle une sorte de dynamique. On voyait la même chose près de l’installation avec les sky dancers de station-service qui se balancent (The Pogo Never Stops ) : jeunes et vieux étaient entraînés. J’espère que notre livre pourra susciter la même dynamique chez le lecteur. »

Je me promène avec Tyfus dans le parc sans tenter de sonder la signification profonde de son œuvre. À côté de deux sculptures qui font partie de la collection permanente du Middelheim (dont La Vierge folle de Rik Wouters) ont été installées des sonos qui font entendre des chants montés en boucle : du noise produit par Tyfus même, qui fait penser aux chants envoûtants des chamans.

« Quand je vois des sculptures, j’entends des sons », raconte-t-il. « Désormais, tout le monde peut les entendre. »

L’installation The Pogo Never Stops est constituée d’une dizaine de sky dancers aux visages dessinés, qui s’effondrent, s’incluent, s’agenouillent et puis se redressent vivement. Dans le texte de presse boiteux, je lis qu’ils font ressembler la pelouse à un pré de festival. Je n’ai jamais vu de pré de festival de ma vie, de sorte que je ne puis voir l’installation que comme une nouvelle forme de sculpture ou de présence dans un parc de sculptures.

« Chaque fois que je voyais un tel sky dancer dans une station-service danser le pogo, j’entendais Burn Your House Down de Wolf Eyes », raconte Tyfus. « Ici, la musique est faite par les compresseurs. »

Dans un coin entre les arbres, nous trouvons trois sculptures avec des têtes réalistes en caoutchouc, très bien faites, qui sont forcées d’écouter du goa-trance et sont bombardées par des balles de tennis lancées automatiquement.

« C’est une affreuse musique house sur laquelle dansaient des gars avec des dreadlocks qui se retiraient dans un bois pour déguster des champignons hallucinogènes. De la merde hippie des années quatre-vingt-dix. »

Dans le Pavillon de Braem, nous trouvons une superbe table en forme de U de 20 mètres de long, où les spectateurs peuvent utiliser 160 tampons pour donner eux-mêmes forme à un livre vierge de 160 pages. C’est l’une des réponses sculpturales les plus percutantes à ce superbe pavillon que j’ai jamais vues.

« Je suis toujours à la recherche de manières pour semer mes dessins dans le monde », raconte Tyfus. « Au début, il s’agissait généralement de housses de disques. Plus tard, j’ai imaginé les No Choice Tattoos. Ce livre à tamponner constitue une nouvelle façon de faire voyager mes dessins et de les convertir en quelque chose de plus tangible. »

À Pinkie Bowtie, on peut découvrir les dessins de Tyfus aux crayons de couleur. Lorsqu’il m’a guidé l’année dernière dans la première édition de cette exposition, je fus le premier à remarquer que Tyfus avait dessiné pour la première fois des volumes. « J’en avais marre de ces dessins plats », répondit-il. « J’étais au lit, malade, et quelqu’un m’avait offert une boîte de crayons de couleur. Ainsi est née tout à coup une nouvelle sorte de dessin. »


 

Montagne de Miel, 3 novembre 2018