Hans Theys is a twentieth-century philosopher and art historian. He has written and designed dozens of books on the works of contemporary artists and published hundreds of essays, interviews and reviews in books, catalogues and magazines. All his publications are based on actual collaborations and conversations with artists.

This platform was developed by Evi Bert (M HKA / Centrum Kunstarchieven Vlaanderen) in collaboration with the Royal Academy of Fine Arts in Antwerp (Research group Archivolt), M HKA, Antwerp and Koen Van der Auwera. We also thank Idris Sevenans (HOR) and Marc Ruyters (Hart Magazine).

ESSAYS, INTERVIEWS & REVIEWS

Dimitri Vangrunderbeek - 2002 - Een tactvol operateur [NL, essay]
Text , 15 p.




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Hans Theys


Un opérateur délicat
Une description du travail de Dimitri Vangrunderbeek



1. Introduction

Dimitri Vangrunderbeek est un opérateur délicat d’images, d’objets, d’espaces et des humeurs avec lesquelles nous les associons. Entre ses mains, les espaces commencent à hésiter, les objets sont désarmés. Il les éventre délicatement avec un coupe-papier et décrypte leurs entrailles. La coupe révèle la beauté intime d’une armoire, d’une table ou d’une chaise. Même lorsque le meuble est scié en tranches ou pulvérisé à la meule, il conserve sa dignité.
     Chaque meuble traité par lui devient inutilisable. L’objet se décompose en matériel, volume et composition. Il devient en même temps un objet nouveau. En couvrant de plâtre un fauteuil, Vangrunderbeek le dépouille de sa valeur d’objet utile, mais en fait un nouveau fauteuil, un fauteuil devenu sculpture, un objet qui entretient des rapports différents avec son environnement, un objet partiellement caché qui nous oblige à reconstruire dans notre imagination les parties invisibles.

En 1993, Vangrunderbeek découpe des tables de nuit et des chaises à la scie à ruban et donne aux objets ainsi créés des titres permettant au spectateur d’imaginer le meuble original. Plus tard, il va ‘mettre en boîte’ des chaises et autres meubles, les emballer dans des planches collées, vissées ou clouées ensemble et ne laissant apparaître qu’une partie du meuble. Le spectateur n’a que cette partie pour tenter de reconstituer l’image de l’objet emballé.
     En 1992, Vangrunderbeek réalise une petite œuvre constituée de deux maquettes superposées d’une surface de travail sur tréteaux. Il enduit la table supérieure de paraffine fondue, comme s’il s’agissait d’une table idéale, une table abstraite, une table image d’une table, la Table.
     Nous retrouvons l’éclat de la paraffine dans la surface brillante du multiplex couleur aubergine qui sert d’habitude pour le coffrage du béton, mais est utilisé par Vangrunderbeek pour mettre en boîte quelques chaises de jardin exposées en plein air, où les volumes luisants plantés dans le parc s’imposent comme des propositions. Pour la présente exposition au Muhka, il assemble des panneaux d’aggloméré de couleur verte recouverts d’une couche de polyester résistante à l’eau pour former un disque elliptique qui sectionnera la salle circulaire du rez-de-chaussée. On pourrait considérer cette œuvre comme une variante formelle ou une application dans l’espace des ‘Dippings’, ces globes de verre blanc plongées trois ou quatre fois dans un pot de peinture de couleur primaire, comme une manière élégante et comique de sectionner des boules ou de visualiser des sections complexes combinées.

Pour une exposition dans une galerie bruxelloise, il utilise le même aggloméré vert pour agrandir la surface d’une table en construisant tout autour une surface reposant sur pieds. Une intervention qui fait encore penser à une proposition. La table ainsi agrandie fend et bloque l’espace d’exposition, nous engageant à appréhender de manière différente à la fois la table et l’espace. Contre le mur est appuyée la coupe verticale d’une table, d’une profondeur de quelques centimètres, contenue dans un panneau en bois aux entailles pratiquées sur mesure. Ces coupes reflètent l’opération dans la salle d’exposition en rendant l’espace autour de la table palpable. Elles nous montrent en même temps l’intérieur d’un objet. Elles produisent un effet abstrait, tout en étant plastiques et concrètes.
     Pour une intégration permanente au bâtiment Conscience à Bruxelles, il enferme quelques chaises peu utilisées dans des plaques de polyéthylène de couleur laissant surgir par une fente la partie supérieure du dossier. Les volumes colorés emprisonnant le meuble ressortent au milieu du mobilier administratif.
     Vangrunderbeek n’aime pas colorer les matériaux. Il préfère que la couleur vienne du matériau. C’est une des raisons pour lesquelles il aime travailler avec le plâtre. ‘Je suis sculpteur, je m’amuse en maniant le plâtre’, avoue-t-il, ‘mais j’aime surtout la manière qu’a le plâtre de capter la lumière.’ Il commence par badigeonner des fauteuils de plâtre, les rendant ainsi inutilisables sans avoir besoin de les mettre en boîte. Le plâtre forme une couche friable qui se pulvériserait si quelqu’un s’aventurait à s’asseoir. Il rend les meubles fragiles. En même temps, cette couche protectrice blanche capte la lumière comme la surface en plâtre des statues académiques utilisées pour les dessins d’après modèle. Vangrunderbeek en vient ainsi à badigeonner des abat-jour de plâtre, qui captent la lumière du jour.

Au bâtiment Mackintosh de la Glasgow School of Arts, où des belles vitrines d’exposition sont dissimulées derrière des parois en bois, Vangrunderbeek met en boîte quatre statues de plâtre. Pour l’exposition au Muhka, il va même jusqu’à faire mouler trois nouvelles statues pour les mettre en boîte.
     En 2001, il enferme un grand nombre de meubles dans des plaques d’aggloméré pour une exposition dans un entrepôt en béton. Autour de chaque meuble, il construit une caisse sobre de panneaux minces reliés par des petits clous, une boîte, une forme géométrique laissant une fois de plus surgir une partie de chaque meuble par une fente. La sobriété des coffrages surprend. Les meubles mis en boîte sont éparpillés dans l’espace d’exposition, suggérant la manière dont sont combinés les meubles dans un magasin de meubles pour reproduire des intérieurs. Le choix de meubles d’occasion et d’aggloméré comme matériau de sculpture trouve son prolongement dans la façon dont est appréhendé la distribution dans l’espace, c’est-à-dire en faisant fi d’une présentation classique de sculptures. Ainsi, la structure monumentale de l’entrepôt en béton trouve son pendant dans la légèreté d’une sorte de châteaux de cartes.

Une autre belle œuvre travaillant l’espace consiste en trois parois assemblées pour former un U qui passe à travers quelques meubles. A ‘l’intérieur’ de l’œuvre, les parois sont nues, dévoilant la manière dont elles ont été assemblées. Certains meubles sortent littéralement du mur. Sur la face externe de l’œuvre, les parois sont parfaitement finies, mais les meubles semblent fendus en deux dans le sens des parois. On y voit la partie intérieure des meubles coupés, alors que l’intérieur de l’œuvre montre l’extérieur des meubles.
     La force de l’œuvre de Vangrunderbeek, c’est la manière presque badine dont elle louvoie entre l’espace d’exposition, l’objet, l’image, l’idée et la matière. Des objets masqués invitent le spectateur à les reconstituer mentalement, mais forment aussi avec leur emballage un objet nouveau. Des objets coupés en deux ou pulvérisés révèlent leur face cachée ou les matériaux qui les constituent. Des objets enduits de paraffine, des boules de verre blanc plongées dans la peinture, des plaques d’aggloméré résistantes à l’eau fonctionnent comme des propositions de sculptures ou d’images.
     En tant que critique d’art, je recherche toujours dans les œuvres d’art ce qui les distingue des œuvres d’autres artistes. Je fais un travail de terrain. Je laisse les grandes théories à ceux qui ont lu plus de livres. Un avantage de cette approche est que vous trouverez peu de mots difficiles dans ce livre. J’ai simplement sélectionné pour vous quelques œuvres et j’ai invité l’artiste à les commenter pour vous.


2. Description des œuvres

L’œuvre avec les petits trains représentée ci-dessus s’intitule ‘Mouvement aller-retour’. Elle a été réalisée en 1990 en Angleterre, où Vangrunderbeek étudiait à l’époque. Il avait décidé d’aller étudier en Angleterre après avoir vu l’exposition au Muhka « British Sculpture 1960-1988. »
     « Les trains roulent automatiquement en avant et en arrière », explique Vangrunderbeek , « à chaque extrémité des rails, là où ils touchent le mur, un relais inverse le courant et fait repartir les trains en direction opposée. Je voulais faire quelque chose avec des énergies en conflit, quelque chose d’organico-moléculaire qui serait mis en mouvement et renvoyé d’un mur à l’autre. C’était pour moi une tentative de création d’une sculpture abstraite. Le mouvement était par exemple renforcé par la rigueur et la clarté de la suspension. Il y avait aussi une sorte de dualité entre une chose sûre et un certain moment d’ouverture et de vulnérabilité. Les petits trains roulaient sur une bande très fine dans l’espace, à environ un mètre au-dessus de la tête des spectateurs. »
     Cette œuvre s’apparente aussi d’une manière formelle aux œuvres plus récentes de Vangrunderbeek. L’apparition et la disparition du train miniature font penser aux meubles partiellement mis en boîte. Tout comme le haut du dossier qui n’est pas emballé, la petite cheminée du train restait visible une fois que le train disparaissait derrière les petites parois. L’œuvre intervient aussi de manière prudente sur l’espace, tout comme une accentuation peut changer le sens d’une phrase.

L’œuvre avec les petits personnages en marche s’intitule ‘Unité-unités’. Elle a été réalisée en 1991. Les personnages sont basés sur des photos d’Edward Muybridge, qui avait photographié un pas en une dizaine de séquences. Vangrunderbeek avait photocopié et inversé ces images, de manière à obtenir dix couples de personnages marchant en sens inverse. Lorsqu’il expose cette œuvre, il bombe au pochoir les personnages marchant les uns à travers les autres sur une bande de papier aussi longue que le mur utilisé. L’œuvre est suspendue à l’envers, les personnages tête en bas. Après quoi quelques personnages sont découpés de manière à être suspendus par la plante des pieds, puis repliés pour tenir droit. « Le résultat est un jeu du positif et du négatif » raconte Dimitri Vangrunderbeek, « mais on obtient aussi un mouvement de va-et-vient, comme avec les petits trains. »

 ‘Ma double table de travail’ a été réalisée en 1991. C’est la première œuvre qu’a réalisée Vangrunderbeek après ses études. « J’avais construit avec des matériaux de récupération une grande table de travail pour moi, puis une pour Ane Vester, avec qui je vivais. Cela me donna l’idée de faire une œuvre avec une table placée par-dessus une autre table, comme une structure qui protège et abrite l’utilisateur de la table inférieure. Mais je n’avais pas assez d’argent pour construire une double table, et j’optais donc pour une maquette. La table supérieure était enduite de paraffine. La paraffine a un effet conservateur, mais elle donne aussi à la table un éclat qui en fait une sorte d’objet conceptuel.
     Cette œuvre ne sera probablement jamais réalisée grandeur nature. La maquette est devenue l’œuvre finale. Chacun peut imaginer ce que serait la vraie sculpture. Techniquement, l’œuvre n’est pas très réussie. Quelqu’un me proposa un jour de l’acheter si je la refaisais, l’améliorais, mais j’ai refusé. J’aime cette œuvre telle quelle. Elle a pour moi la force qu’il faut, car même arrêtée à ce stade, elle parvient à s’imposer.
     Etrangement, ces premières œuvres sont très chargées pour moi, davantage même que des œuvres plus récentes. J’y vois une très forte représentation de ma vie d’artiste débutant à Londres, seul dans son atelier, et cherchant une manière de travailler sans aide extérieure, technique ou matérielle, ce qui m’obligea à m’approcher davantage de ma propre histoire, mes propre possibilités. »

En 1993, Vangrunderbeek est invité par Alec Debusschère et Patrick Everaert d’Etablissement d’en face à un séjour de trois mois qui s’est débouché sur une exposition personnelle. Il scie des chaises et des tables de nuit, coule des dalles de béton pour couvrir des tapis et tente de rassembler le travail de deux années dans une seule sculpture.
     « L’œuvre s’intitule ‘Table à projets’. Je n’avais pu travailler pendant deux ans qu’avec des petits objets et des esquisses, et j’eus l’idée de faire le point en réalisant un carnet d’esquisses tridimensionnel, en partant de ma table de travail à Londres. Tout comme la double table de travail, la table constitue par son épaisseur, sa hauteur et sa surface le point de départ de toutes les interventions. Beaucoup d’interventions ont quelque chose de négatif: le plan de la table partiellement poncé, l’immobilisation du train miniature, les bocaux à confiture au fond découpé à la scie à eau, la chaise qui perce le plan de la table, le rouleau de papier de 25 mètres de long avec quelques milliers de personnages allant et venant, les quatre piquets avec les deux fils, le cylindre d’acier qui fend la table — un objet de cinq ou six kilos qui en dépit de son poids reste suspendue sans moindre fixation, maintenue par la table —, le bâton carré qui transperce la surface de la table, la bandelette de cette surface collée par-dessus. »

L’œuvre avec les tiroirs représentée sur la page précédente a été réalisée en 1991. Vangrunderbeek travaillait alors dans le quartier londonien de Brixton, un quartier pauvre où on trouve des meubles d’occasion à très bas prix. L’œuvre surprend par sa simplicité et sa belle inversion sculpturale. C’est comme si les tables de nuit sciées pouvaient reposer dans leurs propres tiroirs.
« Chaque table de nuit donne une autre sculpture. Elles sont toutes différentes. Et elles sont belles ! J’ai essayé plus tard de faire la même œuvre, mais je n’ai plus retrouvé des tables de nuit de la même finition, avec ces jolies petites poignées anglaises.
     Cette œuvre parle de l’identité. En premier lieu, les tables de nuit sont généralement utilisées par une seule personne, mais elles ont aussi leur propre identité. Les tables de nuits sont rendues méconnaissables, mais les tiroirs nous parlent des meubles disparus. En plaçant côte à côte les tiroirs, on obtient un petit groupe d’individus. En tant qu’image cette œuvre est moins construites que mes sculptures précédentes comme les petits trains et le rouleau de papier avec les petits bonhommes en marche. A cette époque-ci, j’ai progressivement décidé d’utiliser pour mes sculptures des meubles, comme d’autres sculpteurs optent pour le bois ou la pierre, ou comme Gordon Matta-Clark utilisait des maisons comme matériel de sculpture.
     Mon grand-père était un menuisier devenu malgré lui entrepreneur des pompes funèbres suite à la grande demande en cercueils pendant la seconde guerre mondiale. Mon père, le seul de sept fils à n’avoir pas fait carrière dans l’industrie de l’enterrement, a étudié l’architecture intérieure et a fondé avec ma mère plusieurs magasins de mobilier. Mon frère Stefan est devenu menuisier lui-aussi.
     Ma décision d’utiliser des meubles comme matériau de sculpture m’a donc rapproché d’un monde familier. Non pas comme une sorte de réaction psychologique à ce monde, mais parce que dès que je me suis mis à dessiner dans mon atelier vide, les images de meubles me sont venues spontanément.
     Lorsque j’ai décidé de travailler avec des meubles, j’ai été confronté au problème de la présentation. Le défi consiste chaque fois à rendre l’intervention aussi claire que possible et à ne pas la laisser envahir par une présentation artistique des sculptures. Tu écris que les tables de nuit sciées semblent pouvoir reposer dans leur propre tiroir. J’ai en effet tenté de montrer les œuvres de cette manière, mais l’effet était trop évident. Les sculptures s’en trouvèrent affaiblies, parce que l’imagination du spectateur était trop dirigée. Or, mon but est toujours de donner le maximum d’espace à l’imagination avec un minimum d’interventions.
A travers le thème de l’identité, j’ai abouti au thème de la ‘série’. J’ai ainsi réalisé ultérieurement une série de cinq chaises coupées à la scie à ruban. Il y a aussi une série de cinq tables de nuit avec tablette en marbre. La série est importante, car elle renforce l’idée de l’identité. »

« Après avoir découpé quelques chaises à la scie à ruban, il semblait logique de faire disparaître une chaise d’une autre manière, en la couvrant d’une boîte par exemple. Ce sont des chaises qui se laissent deviner. Sur le plan sculptural, ces œuvres sont aux antipodes des chaises sciées. Au lieu d’en réduire le volume en les sciant, on obtient une massivité qui intériorise l’espace de l’objet. Le caractère individuel de la chaise est ici dissimulé, mais les boîtes sont à leur tour uniques, puisque leurs dimensions sont basées sur celles de la chaise.
     Je me suis longtemps demandé si je traitais en premier lieu de la chaise ou de la matière abstraite de la boîte, jusqu’à ce que je comprenne que la chaise et la matière se tiennent en équilibre. Il s’agit de trouver le bon équilibre. La nouvelle œuvre pour le Muhka, par exemple, où je veux fendre l’espace de la salle circulaire avec un disque d’aggloméré mis en oblique. Le disque et l’espace se tiendront en équilibre. Que ce soit un espace d’exposition ou une chaise, il s’agit de la même chose. Il s’agit du contraste entre la chaise comme une donnée, comme une chose spécifique au site, et la forme ou la matière qu’on y ajoute. Le tapis demande le béton. Je ne vais pas placer des panneaux de fibre ou de contreplaqué sur un tapis ou construire une structure en béton autour d’une chaise.
     Le disque au Muhka montera de la hauteur du genou à la hauteur de l’épaule. Avec un peu de chance, il vous donnera l’impression d’être aspiré dans la pièce. Vous aurez envie d’y entrer, comme les gens ont envie d’aller s’asseoir dans les fauteuils enduits de plâtre. On est physiquement attiré et invité à une sorte d’utilisation de l’espace ou de l’objet, mais en même temps, on en est empêché. Je me souviens d’une œuvre de Bruce Nauman sur la même expérience. Dans une salle vide, on entendait une voix qui vous demandait de quitter la pièce. ‘Partez! Partez!’ Peut-être que la voix vous invitait aussi à rester. Dans mon souvenir, j’étais invité par l’espace vide. C’est pour moi une magnifique réalisation de l’expérience de base de la sculpture, c’est-à-dire que les espaces, les objets et les matériaux veulent être habillés et démantelés, remplis et vidés, combinés et défaits et qu’à la fois, ils nous attirent et nous repoussent, nous séduisent et nous rejettent. »

Cette œuvre s’intitule ‘Coupes’ et a été réalisée en 1994 pour la Maison Belge à Cologne. Vangrunderbeek voulait produire une œuvre sur le thème de la ville en utilisant des meubles. C’est la première fois qu’il a utilisé des armoires. Il voulait créer initialement une œuvre avec des meubles perçant une surface, mais a décidé finalement de scier les meubles horizontalement à hauteur du plan plat. L’ensemble fait penser à des fondations de maisons. Pour Vangrunderbeek, cette œuvre évoque l’histoire de la ville de Cologne, bombardée pendant la seconde guerre mondiale. Le jour du vernissage, Richard Venlet lui demande ce qu’il est arrivé au dessus des meubles. Le dessus n’existe plus. La sculpture est faite de résidus, devenus de belles choses. Vangrunderbeek compare cette œuvre à une table de dissection, où les objets mis à nu sont soumis à une analyse minutieuse.
     « Avant de scier les meubles, j’ai déterminé la hauteur du plan horizontal. C’est devenu une table assez basse, que l’on regarde de haut. Elle a 68,5 cm de hauteur, soit cinq à six centimètres de moins qu’une table normale. Les dimensions de la table étaient adaptées à l’espace. Le plus difficile fut de placer les meubles. D’où cette maquette en carton. J’ai essayé de les positionner de manière neutre, non picturale. »

Sur les pages précédentes, on trouve des illustrations d’une exposition qui eut lieu en 1995 dans les salles de l’espace Jacqmotte à Bruxelles, un beau bâtiment en béton. « Je suis arrivé avec quelques meubles mis en boîte et quelques œuvres nouvelles, des objets poncés. Pour le reste j’ai simplement cherché une présentation permettant à ces objets de converser de manière équilibrée avec l’espace.
     Pour les objets poncés, j’ai collé quelques panneaux de contreplaqué de meranti, dont j’ai ensuite poncé la moitié environ au disque abrasif. Je travaillais dans un petit grenier qui devint ainsi magnifique, entièrement drapé de poussière rouge. J’ai encore réalisé plus tard diverses sculptures en ponçant des objets. »

En 1994, Vangrunderbeek place pour la première fois des chaises emballées dans un lieu public. Sur les trente chaises métalliques peintes en blanc qui se trouvent dans un parc, il en emballe six et les positionne de telle manière qu’elles mettent en valeur quelques aspects d’un parc du XIXe siècle. « Un critique d’art utilise à cet égard les termes continu et discontinu », raconte Vangrunderbeek, « certaines chaises peuvent encore être utilisées, d’autres ont été dépouillées de leur fonction. La même idée se retrouve dans une intégration dans le bâtiment Conscience, où en accord avec le personnel, j’ai mis en boîte à chaque étage un exemplaire d’une série de chaises peu utilisées. »

« Pour l’œuvre ‘Coupes horizontales’ de 1995, j’ai coupé une chaise en 49 couches, après quoi j’ai incrusté chaque couche dans un panneau de multiplex. En empilant soigneusement tous les panneaux, on constate que tous les morceaux de la chaise sont encore à leur place initiale. En feuilletant la pile, on peut voyager dans l’espace de la chaise… Je suis heureux de constater que c’est devenu une œuvre que l’on peut regarder sous tous les angles. Elle n’a pas de dessus, ni de dessous, ni de gauche, ni de droite. »

« ‘Pulvérisation’, c’est une petite table de nuit pulvérisée, qui repose sur son socle d’origine. C’est une œuvre sur la sculpture, sur l’abstraction ou la déformation d’une image posée comme un petit tas sur son socle. Je rêvais à l’époque d’une machine dans laquelle je pourrais jeter en une fois une armoire entière pour la pulvériser. Il existe de ces grandes armoires dont les parois reposent sur un socle. Elles se seraient bien prêtées à une grande version de cette œuvre.
     Et pourtant, cette œuvre me met mal à l’aise. Elle est sale et n’a pas vraiment de forme. Les morceaux de métal lui confèrent aussi quelque chose de macabre. La poudre et les cendres se côtoient de très près. L’œuvre suscitait l’angoisse. Le galeriste qui l’exposait devait d’ailleurs aussi ressentir quelque chose de ce genre, car il tournait sans cesse autour de l’œuvre avec un balai, comme s’il essayait de la cerner, de l’apprivoiser. »

‘Allongement d’une table de galerie’, 1995. La galerie où a été réalisée cette œuvre expose surtout des tableaux et des photos. En occupant avec sa ‘Table allongée’ la plus grande partie de la galerie, ne laissant qu’un étroit passage, Vangrunderbeek voulait amener les spectateurs à ne plus regarder les murs, mais à porter leur regard vers le centre de l’espace, où la surface de la table renvoyait la lumière naturelle.

‘Sections de table’, 1995. « Je trouve que l’introduction du livre décrit de façon très belle comment ces œuvres sont le contrepoint de l’œuvre ‘Allongement d’une table de galerie’, l’espace autour de la table étant présent de deux manières différentes. Les deux œuvres sont une variante des chaises sciées dans le sens où, en utilisant un minimum d’éléments de la réalité, j’invite le spectateur à reconstruire l’image d’un meuble.
     Ce sont des disques, des feuilles d’un livre, des échantillons d’une salle de dissection, des préparations pour étude microscopique. Initialement, je voulais diviser une table entière en disques, mais quelques disques suffisent.
     Ces œuvres étaient une sorte d’entrée pour l’exposition, un lien entre ‘Coupes horizontales’ et l’occupation d’un espace d’exposition avec la table allongée. Ces œuvres permettaient de lire les autres œuvres. »

 ‘Ronde’, 1996. « Cette œuvre s’apparente aux meubles coupés horizontalement de Cologne, sauf que les meubles sont ici coupés à la verticale. Ici, il n’y a pas de perte. Les deux moitiés des meubles sont utilisées dans la sculpture. Les meubles sont sciés en deux et ouverts comme une charnière. A Bregenz la structure dans laquelle ils étaient contenus avait la forme d’un U renversé, mais la forme peut aussi changer. Cette forme en U était la plus adaptée à l’espace à Bregenz, mais l’œuvre pourrait tout aussi bien former un coin ou une longue ligne droite, un long mur autour duquel on pourrait se promener. L’œuvre s’intitule ‘Ronde’. En marchant autour d’elle, on est constamment transporté de l’extérieur vers l’intérieur, puisqu’à l’intérieur de la cloison, on voit l’extérieur des meubles et inversement.
     Le lieu d’exposition se trouvait à la frontière avec la Bavière, dans une région réputée pour son architecture baroque. Je voulais utiliser cet élément en créant une structure digne d’un décor où rien n’est soi-même, où on est emporté par les apparences.      
     L’œuvre est comme un grand théâtre de marionnettes ou un décor de théâtre. L’arrière ou l’intérieur est laissé brut, alors que le devant, l’extérieur est peint en blanc. Je me suis imaginé qu’une pièce de théâtre pourrait être jouée dans cet espace. De l’extérieur, on peut regarder à travers l’œuvre vers l’intérieur de différentes manières. On peut regarder à travers une table, à travers une armoire, on peut aussi regarder à travers une armoire dans un miroir et voir quelqu’un d’autre regarder de l’autre moitié de l’armoire. Images et personnages apparaissent et disparaissent. »

 ‘Bancs publics mis en boîte’, 1997. « Les bancs publics provisoirement mis en boîte sont le prolongement des chaises en boîte. Ils constituent une négation des bancs, tout en créant une boîte siège. La plupart des riverains ne trouvèrent pas l’idée très bonne, mais un groupe de Marocains âgés furent très amusés. « C’est devenu un grand banc », disaient-ils, « au moins, on peut dormir dessus. » Il fonctionnait en tout cas comme objet d’aliénation. L’œuvre dit aussi quelque chose sur les sculptures dans l’espace public, tout comme les bancs aux inscriptions discrètes. Bruxelles est parsemé de vilaines sculptures en bronze et en pierre. Bien sûr, les gens pourraient penser de même sur mon travail. En tout cas, après trois semaines, la ville de Bruxelles a fait disparaître cette œuvre. »

 ‘Poutre dans une galerie’ (1997). « Il s’agissait d’une poutre en orégon d’environ six mètres de long que j’ai placée en diagonale dans l’espace d’une petite galerie. A l’époque où je l’ai réalisée, je préparais une autre exposition, très laborieuse et j’avais été pris de doutes sur le sens de la création d’objets et du travail du sculpteur avec l’espace et les matériaux. Mais le galeriste, Helmuth Bauer, m’encouragea. Il avait un grand sens de la sculpture, de l’espace et des matériaux. C’était une très belle galerie. La poutre coupait l’espace en deux. En entrant, on ne pouvait pas imaginer comment cette poutre avait pu entrer dans cet espace. C’était en fait une œuvre angoissante. Très lourde. Certains même avaient peur de passer dessous. »

‘Display Table’ date de 1996. Divers meubles posés sur un socle devaient percer une surface, comme par un drap sur une table d’opération. « C’est un projet grandeur nature, le premier projet pour l’exposition à la Künstlerhaus de Bregenz, qui était à l’origine une maison privée. Le but était de créer avec des meubles baroques de la région une ambiance de musée où règnerait ce genre de silence que l’on trouve dans les maisons transformées en musées.

Essais dans l’atelier, 1997. « La lampe est emballée dans une pile de panneaux de fibres poncés en creux. J’ai mélangé les fibres avec de la colle à bois et j’en ai badigeonné une chemise. Ici, je me suis amusé à bricoler avec la matière et la forme, quelque chose que je ne fais finalement pas souvent. Lorsque je travaille sur une sculpture, je pars presque toujours d’une image claire. Je sais où je vais. Mais j’ai abouti à cette image en dessinant et en bricolant. Ces maquettes avec des jouets, c’est comme des esquisses, je peux travailler très directement avec ça.
     J’ai aussi essayé de démanteler à moitié ou complètement un fauteuil et une armoire pour voir quel effet j’obtiendrais. »

Pour l’exposition à Copenhague, je voulais une fois de plus amener les spectateurs à un maximum d’imagination avec un minimum de moyens. C’était un espace immense. Les meubles sont pour les Danois ce que sont les maisons pour les Belges. J’avais donc toutes les raisons du monde de travailler avec des meubles. Tout le monde s’attendait à ce que je parte au Danemark avec toute une cargaison de meubles. Mes parents ont vendu beaucoup de meubles scandinaves. J’avais déjà demandé aux membres de ma famille s’ils avaient encore des meubles scandinaves que je pourrais ramener au Danemark pour les confronter à leur pays d’origine (rire). Mais j’ai finalement opté pour l’immatériel. J’ai essayé de transporter mon atelier dans un autre endroit. Il y a ça et là quelques feuilles de papier brun qui pendent, sur lesquelles j’ai copié quelques notes d’atelier sur des sculptures à faire. La ‘table allongée’ est née d’une de ces notes. J’ai aussi fait quelques petites interventions. J’ai tendu une corde de la fenêtre à un pilier en béton, vingt-cinq mètres plus loin. J’ai placé des morceaux de carte géographique et de verre sur le sol, j’ai collé ensemble des morceaux de polystyrène et à côté d’une rampe pour chaises roulantes j’ai prolongé le dénivelé par une construction en bois recouverte d’une couche de polystyrène, comme une invitation à imaginer le sol le plus bas rehaussé de la même manière. C’était comme des coups d’épingle dans un océan d’espace. »

« A côté de cette affiche de Michel François, j’ai suspendu un petit numéro qui se rapporte à une liste de mots. Il y avait de ces petits numéros partout dans l’exposition. Ils constituaient une tentative de doubler le parcours réel de l’exposition d’un parcours mental de mes activités d’atelier. »

« Cette exposition a eu lieu dans une école d’art qui a été conçue par Mackintosh et qui fonctionne encore comme académie d’art. Il y a aussi une galerie qui ressemble un peu à un foyer. Au début du XXe siècle, cette salle était utilisée comme musée. Il y avait toutes sortes de moules en plâtre de statues classiques, qui étaient utilisés pour enseigner le dessin selon modèle et étudier les classiques. Quelques-unes des vitrines où étaient rangés ces objets sont maintenant dissimulées derrière une cloison en bois peinte en blanc qui fait de l’espace une galerie stéréotype. Partout dans les couloirs, il y avait de ces grands Michel-Ange blancs et des copies de statues grecques antiques. L’idée m’est ainsi venue de cacher quatre de ces statues dans une boîte en bois peinte en blanc en n’en laissant apparaître qu’une petite partie de la sculpture, tout comme on avait fait avec la salle originale. La construction de ces boîtes était différente pour chaque statue. Chaque boîte était constituée de plusieurs morceaux dont les dimensions correspondaient à l’anatomie des statues grecques classiques, de telle sorte qu’elles faisaient référence de manière abstraite aux proportions architectoniques classiques. »

 ‘Mots pour la ville’, 2000. Le point de départ de cette œuvre était une liste de mots et de phrases que Vangrunderbeek nota d’abord sur ses dessins et rassembla ensuite dans des livres sur la ville moderne. Le but était de déplacer les mots de l’atelier ou de la bibliothèque vers l’espace public. Philippe Braem mit Vangrunderbeek en contact avec l’administration de la Ville de Bruxelles. Un couple de mots fut gravé sur le dossier d’une dizaine de bancs publics. Les bancs ne sont pas situés dans des endroits idylliques, mais sur des places très fréquentées du centre de Bruxelles. Ce sont des sculptures publiques, mais qui passent presque inaperçues. Ce sont des petits messages pour les passants.

« Le ‘Pavillon des enfants’ trouve son origine dans une petite cabane que j’ai fabriquée pour mes enfants et où ma femme et moi ne pouvions pas entrer, parce que la porte et la fenêtre étaient trop petites. Dès que je vis la situation de labyrinthe à Louvain-la-Neuve, j’eus envie de créer un labyrinthe pour enfants. J’ai transformé la cabane de mes enfants en structure modulaire que je pouvais multiplier pour en faire une structure dont il est difficile à sortir en raison de la répétition des formes et des couleurs. Le pavillon est en bois laqué. Je voulais le réaliser en polyéthylène, mais c’était trop cher. Le pavillon se dressait au croisement de deux chemins, entre un lotissement et un parc, entre un quartier ancien et une zone nouvelle de la ville, où passaient chaque jour les élèves d’une école primaire se rendant au centre sportif et à la piscine. »

Conscience, 1999. « Pour cette œuvre, je suis allé parler avec le personnel d’un bâtiment constitué de trois tours de sept étages. J’ai choisi avec ces gens une chaise à chaque étage de chaque tour, que j’ai emballée dans des panneaux de polyéthylène coloré. Ce fut une véritable errance pour moi. Certaines chaises furent assignées à un endroit précis, d’autres peuvent voyager dans tout l’étage. Elles peuvent aussi être utilisées comme socle. Le polyéthylène est une belle matière, imperméable, faisant penser à des bonbons, un peu grasse. C’est aussi une matière qui absorbe la lumière. La lumière y pénètre et fait rayonner ces boîtes. »

En 2000, Nicc-Bruxelles plaça un container de chantier sur la place Fontainas. L’idée initiale était de travailler pendant un an sur la voie publique, mais il apparut très vite que personne n’y était disposé. Vangrunderbeek fut séduit par l’idée de l’artiste travaillant pendant un an dans un espace public. Il proposa de reprendre le projet et présenta sa propre forme. Pendant trois mois d’été, il invita quarante artistes à faire quelque chose autour du container.
     « Le plus beau dans ce projet, ce fut la collaboration avec les quarante artistes. J’ai vu récemment une série d’autoportraits d’Alighiero e Boetti où on le voit chaque fois en face d’une autre personne. Je pense qu’il s’est fait photographier avec ceux avec qui il travaillait. Je trouve ça sublime, une telle série d’individus… J’ai fait moi-même deux interventions. J’ai placé le tronc d’un vieux chêne qui pouvait être utilisé comme banc ou comme poutre d’équilibre devant le container et j’ai collé sur le container une grande feuille de pvc rouge autocollant en forme de porte qui ressemblait de manière frappante à la vraie porte. C’était une variante de la double table de travail. Le tronc d’arbre, que j’avais emprunté, a été coupé en morceaux et emporté par les services communaux. On a beau avoir l’autorisation d’un échevin, il y en a toujours un autre qui vient te déranger pour démarquer son territoire. »

‘Plan horizontal pour le Petit Centre d’Art de la Forêt de Soignes’, 2001. Ce centre était une petite maison mise à la disposition de Nathalie Mertens pendant un an comme salle d’exposition ou espace artistique. Pendant un printemps pluvieux, Vangrunderbeek eut l’idée de construire une grande citerne à eau en plaques de multiplex pour béton. La maison est située sur une colline et Vangrunderbeek construisit une citerne aussi longue que la maison et couvrant la différence de niveau entre la façade avant et la façade arrière. La citerne avait zéro centimètre de hauteur à l’arrière de la maison, environ 90 centimètres à l’avant.
     « L’eau de pluie n’était pas recueillie par des égouts, si bien que la maison était très humide. Dès que la citerne se remplissait, se formait une surface plate, horizontale et immobile au milieu de ce paysage en pente. Une ligne horizontale. Un miroir. Pour cette exposition, j’ai aussi réalisé mes deux premières vidéos. La première montre comment je plie un petit bateau en papier, prend la caméra en main et filme comment le petit bateau en papier est mis sur un petit ruisseau et part au fil de l’eau. La caméra suit la course du bateau et lorsqu’il coule, j’en plie un autre devant la caméra et je continue jusqu’à ce que le ruisseau finisse dans un étang. La deuxième vidéo, qui doit être projetée sur un mur, montre une promenade dans la forêt de Soignes, filmée avec la caméra sur la poitrine. Pendant cinquante-cinq minutes, je marche tout droit sur un sentier de six kilomètres et je filme la perspective devant moi. C’est comme si je coupe l’espace du bois en deux.»

« Cette exposition a eu lieu dans un énorme entrepôt. Vu la destination originale du lieu, je voulais remplir l’espace d’autant de meubles d’occasion que le permettait le budget. Je voulais faire une structure monumentale — beaucoup de caisses contenant quelque chose et ayant un grand impact sur l’espace — qui en même temps fait penser à un décor par la construction légère des caisses. Je cherchais quelque chose de monumental ayant un caractère provisoire, qui pouvait être monté et démonté rapidement, un peu comme un décor de théâtre, un chapiteau de cirque ou un stand de forain.
     Comme tu l’as écrit dans l’introduction, j’ai étalé les volumes dans l’espace comme on le fait dans les grands magasins de meubles. Mes parents avaient quelques magasins de meubles, dont un avec une surface d’exposition de 1.500 mètres carrés. Entre mon quinzième et mon vingtième anniversaire, j’essayais deux ou trois fois par an de changer les meubles de place pour trouver la disposition idéale pour se déplacer entre les meubles et voir loin. C’était un véritable combat de titan. J’y passais des journées entières. C’était un combat avec les volumes, que je déplaçais avec un diable. Pour cette exposition, je me suis servi de cette expérience pour un arrangement neutre, non artistique des volumes. »

En 2001, Vangrunderbeek et Ane Vester sont invités par Luk Lambrecht à réaliser une exposition au Centre Culturel de Strombeek-Bever. Vangrunderbeek est touché par le caractère semi-public du foyer.
     « On y entre de plain-pied de la rue, les jeunes y traînent quand il fait trop froid. C’est comme une place couverte, en fait. Les gens entrent sans se faire connaître. Ils n’ont pas d’obligations. Ils ne doivent pas nécessairement boire quelque chose ou assister à une représentation. Ils peuvent seulement s’asseoir sur un banc. Il y a aussi beaucoup de couloirs qui débouchent sur cet endroit. Ane Vester et moi avons finalement décidé de profiler chacun notre travail d’un côté de l’espace. Pour souligner le caractère semi-public du lieu, j’ai placé au centre de l’espace une réplique en bois du petit étang qui se trouve sur la place devant le Centre Culturel. J’ai mis dans l’étang des jetons en plexiglas faisant référence par leurs couleurs et leurs inscriptions à notre travail et que les visiteurs pouvaient emporter. A l’extérieur, j’ai fait graver sur le dossier d’un banc la phrase ‘Sculptures cachées à emporter’.
     Ane Vester exposait ses panneaux nommés et colorés qui reposaient contre le mur, et j’avais construit une sorte de stand que j’ai nommé la ‘cabine tout-en-un’. C’était une structure tridimensionnelle dans laquelle j’ai rassemblé plusieurs œuvres, comme pour la ‘Table projet’ de 1993. Comme mon atelier, la cabine était enduite de stuc, qui par sa porosité et sa capacité à absorber la lumière, illuminait la sculpture. Il y avait à l’intérieur des meubles et des abat-jour couverts de plâtre. Il y avait aussi une coiffeuse avec un miroir sablé. C’était pour moi un exercice de sculpture ou un exercice de gestion de l’espace. On peut par exemple y visionner une vidéo où je peins en rouge un fil tendu. C’était un voyage dans l’espace. En même temps je voulais en faire une sorte de stand de meubles. La cabine avait de grandes ouvertures par lesquelles on pouvait regarder les modèles nouveaux, les collections ou les séries. »


Montagne de Miel, 6 janvier 2002