Hans Theys est un philosophe du XXe siècle, agissant comme critique d’art et commissaire d'exposition pour apprendre plus sur la pratique artistique. Il a écrit des dizaines de livres sur l'art contemporain et a publié des centaines d’essais, d’interviews et de critiques dans des livres, des catalogues et des magazines. Toutes ses publications sont basées sur des collaborations et des conversations avec les artistes en question.

Cette plateforme a été créée par Evi Bert (Centrum Kunstarchieven Vlaanderen) en collaboration avec l'Académie royale des Beaux-Arts à Anvers (Groupe de Recherche ArchiVolt), M HKA, Anvers et Koen Van der Auwera. Nous remercions vivement Idris Sevenans (HOR) et Marc Ruyters (Hart Magazine).

ESSAYS, INTERVIEWS & REVIEWS

Manon Bara - 2014 - La belle gourmandise [FR, essay]
Texte , 1 p.




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Hans Theys


La belle gourmandise
Sur le travail de Manon Bara



Ayant suivi le travail de Manon Bara (°1985) depuis qu’elle a quitté l’académie, je suis tombé de surprise en surprise par la façon dont elle accapare le monde, l’avale, le transforme, en fait un objet d’étonnement pour l’observateur. De cette artiste, j’ai vu des films, des sculptures, des dessins, des T-shirts, mais, surtout, des tableaux. Souvent, ces tableaux sont peints sur un support inattendu, comme des statuettes de la vierge, des tuiles en céramique, des verreries pour protéger ou décorer les lampes ou encore des enjoliveurs. Tout semble y passer, sauf que tout n’y passe pas. Les objets sur lesquels elle peint ont souvent déjà un rôle de décoration ou de dévotion dans la vie des gens qui les achètent et les apprécient. Nous ne savons pas qui sont ces gens, mais nous nous sentons proches d’eux à travers le travail d’ennoblissement qu’effectue l’artiste.

Issue d’une famille engagée politiquement et socialement, Bara regarde le monde avec des yeux d’amoureuse. Et son cœur, lui, est grand comme un soleil. Ses yeux brillent lorsque, pendant une promenade dans Bruxelles, elle me montre en pointant du doigt des dizaines de belles choses qui l’émeuvent : une vitrine avec des trophées sportifs, un beau scooter, des pavés « polis comme des dents », une enseigne de friterie « dans une lettre belle et ronde des années soixante ». La même passion se fait sentir dans ses tableaux, gourmands, qui semblent vouloir envelopper le monde, le traduire, nous l’offrir…

Peignant avec de la peinture laquée, elle a acquis une maitrise surprenante de cette matière séduisante par sa beauté directe, presque vulgaire et inhabituelle dans le monde de l’art contemporain. Ses portraits de musiciens sur enjoliveurs sont surprenants et égayants. Si la joie s’y mélange à la tristesse, à la mélancolie, ils n’en deviennent pas pour autant pesants. Que cela soit clair : voici un travail qui m’enchante, qui me donne envie de vivre, de prendre une place dans le monde. C’est un travail qui parle, qui se débat, qui refuse de ne pas exister. Que l’on donne plus d’espace à cette artiste et à son œuvre ! Que cela puisse se développer ! Dans tous les sens ! En changeant de peinture, en changeant de sujet, en changeant de support ! J’aimerais voir plus ! Trop souvent, après avoir étalé son enthousiasme pour un sujet ou une manière de faire, elle finit par dire : « Mais je me calme de ça… ». J’aimerais, moi, qu’elle ne se calmera jamais.


Montagne de Miel, 23 mai 2014