Hans Theys is a twentieth-century philosopher and art historian. He has written and designed dozens of books on the works of contemporary artists and published hundreds of essays, interviews and reviews in books, catalogues and magazines. All his publications are based on actual collaborations and conversations with artists.

This platform was developed by Evi Bert (M HKA / Centrum Kunstarchieven Vlaanderen) in collaboration with the Royal Academy of Fine Arts in Antwerp (Research group Archivolt), M HKA, Antwerp and Koen Van der Auwera. We also thank Idris Sevenans (HOR) and Marc Ruyters (Hart Magazine).

ESSAYS, INTERVIEWS & REVIEWS

Pascal Bernier - 1994 - Si le titre est lisible le lecteur ne doit pas s’inquiéter [FR, essay]
Text , 3 p.




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Hans Theys


Si le titre est lisible le lecteur ne doit pas s’inquiéter
Quelques mots sur le travail de Pascal Bernier



Que dire ?

D’où vient ce charme, cette impression de se trouver dans la compagnie d’un causeur élégant, qui sait parler de choses justes sans se présenter comme une brouette sans roue, que l’on doit porter soi-même, à quatre pattes ? 

Comment peut-on rester causeur sans devenir mondain ?
 
Quelqu’un parle ici. Est-ce que ça tient, ce qu'il dit ?
 
On s’en fout.

Oui, ça tient.

Ça nous amuse, et ce n’est pas facho.

Il y a de ces choses qui ne se voient pas…

Qui s’utilisent.

Oui… des choses qui sont utilisées tout le temps… mais on ne sait pas très bien par qui.

Des soldats en plastique, des animaux en peluche, des gonzesses gonflables.
Emballer ! Transporter ! Acheter ! Jeter !

On ne jette toujours pas assez.

Jouets pour chiens.

Warhol parle d’un besoin d’espaces vides.

Il faudrait tout jeter par la fenêtre, dit-il.

Ou stocker tout, dans des boîtes en carton à New Jersey. 

Il y a trop de choses qui passent sous nos nez, inaperçues, comme un calme flot de merde.

« Comment peut-on baiser avec une poupée en plastique ? » me demandait un jour une personne respectable.

Je pense connaître la réponse. Les gens qui se posent cette question, considèrent la poupée gonflable par rapport à l’homme. Ils la regardent comme une substitution à une personne vivante.
 
Ceux qui ont des rapports sexuels avec un engin en plastique, par contre, préfèrent le plastique. Pas toujours, bien sûr (je n’oserais pas généraliser), mais il y a sûrement des gens qui font des choses secrètes avec des objets en plastique, parce qu’ils aiment le plastique… parce qu’ils aiment ce délicat objet maniable, parce que ces objets leurs font un service propre, en tant que tel.

Des gens aimant le plastique, il me semble, existent.

On en parle peu. Mais ils existent.

Tout comme des gens qui achètent des jouets pour leur petit chien ou pour leur chat ou pour le perroquet de service.

Il y a même des gens qui portent des perruques.

Tous ces gens achètent ce dont ils ont besoin. Tous les jours. Partout. Plein d’objets. Trop pour compter. 


Tous ces objets mènent une vie publique, on peut les trouver dans le magasin sur le coin, bien rangés et présentés. Mais is ne font pas vraiment surface. Ils passent inaperçus. Sauf pour ceux qui les achètent. Sauf pour ceux qui les fabriquent, qui les inventent, qui les assemblent, qui les emballent, qui les transportent et qui les vendent.

Écoutez ! Des milliers de bateaux, remplis de ces objets, voyagent d’un bout du globe à l’autre.

Des jouets pour chiens, des perruques, des vagins artificiels, des tonnes d’animaux en peluche, des animaux empaillés, de l’argent sali, de la crasse, de la morve, de la merde… mais toujours en plastique, bien emballés ou bien présentés.

Un flot immense… gris de couleurs… qui passe en-dessous de la vie publique, à côté de la page du journal officiel, comme un ennui éternel, plein de fantaisie morbide.

Des milliers d’objets invisibles.
Et voilà quelqu’un qui met le doigt dessus.
Il les regarde. Il les montre. Il les présente.

Des images et des choses dans la marge.

C’est beau, et c’est moche. Ingénieux et sordide. Triste et comique.
Tendu sur une toile, masqué par du polyester, rangé sur un socle.
Manipulé.

Comment parler de la guerre (des gens qui se tuent) et de la beauté, sinon comme ça ?
 

Je ne le sais pas.

J’aime bien ce travail. Il me plait. Il me donne du plaisir. Il ne me rend pas malade et il ne cache pas que la maladie existe. Vive Bernier ! 
(Et vive le chocolat.)


Montagne de Miel, 30 mars 1994