Hans Theys est un philosophe du XXe siècle, agissant comme critique d’art et commissaire d'exposition pour apprendre plus sur la pratique artistique. Il a écrit des dizaines de livres sur l'art contemporain et a publié des centaines d’essais, d’interviews et de critiques dans des livres, des catalogues et des magazines. Toutes ses publications sont basées sur des collaborations et des conversations avec les artistes en question.

Cette plateforme a été créée par Evi Bert (Centrum Kunstarchieven Vlaanderen) en collaboration avec l'Académie royale des Beaux-Arts à Anvers (Groupe de Recherche ArchiVolt), M HKA, Anvers et Koen Van der Auwera. Nous remercions vivement Idris Sevenans (HOR) et Marc Ruyters (Hart Magazine).

ESSAYS, INTERVIEWS & REVIEWS

Joëlle Tuerlinckx - 1999 - Genèse d’une exposition, doublée de la genèse d’un exposé [FR-EN, interview]
, 11 p.

 

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Hans Theys

 

 

Genèse d’une exposition, doublée de la genèse d’un exposé

Genesis of an exhibition, interwoven with the genesis of a lecture

 

 

Introduction

 

Le 23 novembre 1999, Joëlle Tuerlinckx a donné une conférence à la Jan Van Eyck Akademie, à Maastricht (Pays-Bas), comme contribution à la série de conférences « Considering Collections ». La veille, elle m’avait demandé si je voulais l’accompagner pour traduire ses propos en anglais. Je crois qu’elle aimait aussi l’idée que je conduirais, car lorsqu’elle est montée dans la voiture, elle a tout de suite commencé à ouvrir une grosse pile de lettres qui avait patiemment attendu ce moment propice. Le sujet de la conférence était la structure de son exposition récente « Ring und Raumausstellung » à Salzbourg.

On 23 November 1999, Joëlle Tuerlinckx gave a talk at the Jan Van Eyck Akademie in Maastricht as part of a lecture series entitled ‘Considering Collections’. The day before the event, she had asked me if I could accompany her and help translate the lecture into English. I think she also appreciated the fact that I would drive to Maastricht, because when she stepped into the car she started opening a big pile of letters that she’d been patiently saving for just such an occasion. The subject of the lecture was the making of her recent exhibition ‘Ring und Raumausstellung’ at the Salzburger Kunstverein [17 October – 1 December 1996].

 

 

I. Bande sonore / Soundtrack

Tuerlinckx : Hier, en me préparant pour cet exposé, j’ai fait une vidéo de tout le matériel qui m’a servi pour l’exposition ou qui pourrait me servir pour cette conférence. J’étais en train d’essayer de composer un catalogue, mais le graphiste veut tout faire en forme de carré, ce qui est tout à fait stupide, bien sûr. Finalement, j’ai décidé de faire un catalogue-vidéo pour vous. J’aimerais bien vous montrer ce matériel de base, à travers cette vidéo, et vous montrer, seulement après, des images de l’exposition. Mais, d’abord, je voudrais vous faire écouter une bande sonore qui part d’un enregistrement radiophonique. J’ai fait des dizaines de cassettes de son et toutes ces cassettes ont fini par former des couches et des couches, ce que vous allez entendre. Il y a une année de couches.

Theys : Ce sont des émissions de radio ?

Tuerlinckx : Pendant un an, j’ai écouté la radio… toujours entre deux ondes. Je me rapproche d’un moment où on entend de la musique classique ou quelque chose comme ça et puis je repars. C’est comme une promenade dans une bande sonore. Et puis, je superposais les couches, parce que, parfois, je me trompais avec la machine. J’oubliais que j’avais déjà enregistré et je réenregistrais et ça me donnait beaucoup de couches de son.

Theys:  She’d been listening to the radio for a year, always setting the dial between two wavelengths. Without realising it, she recorded some of these sessions on top of others.

Il y a plusieurs tentatives qui sont enregistrées l’une sur l’autre ?

Tuerlinckx : Oui, c’est comme les autoroutes, ça se renforce… les sons se croisent…

Theys:  The different recordings reinforced one another, just like the sound of the highway is created by the noise of different cars…

Tuerlinckx : On commence avec le plan. La curatrice avait l’idée de nous mettre tous les deux dans le même espace et c’était absolument impossible. Pour moi et pour l’autre artiste. L’idée était trop bonne.

Theys:  She’d like to start with the plan of the museum. Joëlle and the other artist [Gottfriend Hundsbichler] didn’t want to exhibit together in the same space. They thought it was impossible. The idea was too good.

(She laughs.)

Tuerlinckx : L’idée était trop bonne, parce que la curatrice avait vu une similitude entre les deux artistes… surtout dans la façon dont ils abordaient tous les deux un espace donné.

Theys:  The idea was too good because the curator had spotted similarities in the way they approach a space.

Tuerlinckx : Tous les deux, Gottfried et moi, nous travaillons toujours tout l’espace. Mais l’espace que je travaille ne s’arrête pas aux murs, il s’étend à tout le champ du visible.

Theys:  For example, they both use the complete space. But for Joëlle, the exhibition space doesn’t end with the walls, it contains everything that’s visible.

Tuerlinckx : Alors, les premiers contacts étaient formidables, parce que nous étions tous les deux très charmants l’un pour l’autre et on disait « oui, mais tu peux prendre mes affaires et les bouger… » Ça donnait quelque chose de totalement impossible.

Theys:  They enjoyed a friendly relationship and gave one another permission to move around their respective works… But it became utterly impossible.

Tuerlinckx : Puis, la curatrice a proposé de construire un grand mur. Mais je n’aime pas ça. J’adore la spécificité de l’architecture d’un espace.

Theys:  The curator suggested building a partition. But Joëlle doesn’t like building walls. She prefers to work with the architectural specificity of a space.

Tuerlinckx : Alors, j’ai eu l’idée de ne pas couper l’espace, mais de couper le temps.

Theys: Rather than divide the space in two, she suggested splitting the time instead. By this you mean consecutive exhibitions?

Tuerlinckx : Yes. But first let’s consider the plan. The architecture is very interesting. Here you have a very big ring-shaped gallery (hence the name ‘Ring Galerie’)… This is the entrance… This is the café… And here’s the large exhibition space. It is entirely devoid of natural light. The only daylight that penetrates the space floods inwards through the doorway. Seeing all this, I proposed that one of us would start on the inside and the other on the outside, and that we’d switch later on.

The first question was: who would begin where? The outside area is the most difficult space that I’ve ever exhibited in.

J’espère que personne ici ne devra jamais exposer dans cet espace. C’est vraiment un piège pour des jeunes artistes. C’est très connu. On donne ça souvent à des jeunes artistes…

Étudiant : Il n’y a pas beaucoup de place ?

Tuerlinckx : Si, mais… Ce que vous voyez ici, ce sont toutes des vitrines… Alors, on peut mettre des choses dans les vitrines…

Theys: The space is enormous but it’s dominated by showcases.

Tuerlinckx : Oui, de très grandes vitrines. Ce qui est très compliqué, c’est que c’est un non-espace, parce que c’est… tout ce bâtiment s’appelle das Künstlerhaus… mais il y a beaucoup de passage. On va beaucoup au café, ici. Les gens de la ville vont là. La nuit, tout le monde est saoul. Toute l’Autriche est saoule. Ils chantent beaucoup et ils sont assez instables physiquement. Un peu difficile avec mon travail, qui joue sur la limite du visible. Ils risquaient de trébucher… Avec toutes les pièces par terre… La farine… Un appareil vidéo…

Theys: The difficulty of the ring-shaped space is that it’s a non-space. It’s also used by visitors to the café and other passers-by. It’s called a ‘Künstlerhaus’, a ‘home for artists’, but not all of the people using the building are interested in art. And they love to drink. They stumble around the place at night. It’s a huge risk for her work because it’s not always very noticeable.

Tuerlinckx : Finalement, on a décidé que Gottfried commencerait à l’intérieur pour la première partie de l’exposition, et moi, à l’extérieur, dans le couloir encerclant… Parce que, pour Gottfried, cette exposition était importante : il voulait rassembler plusieurs pièces du passé. Les déposer dans cet espace et après partir. D’abord, il voulait montrer, puis s’éloigner de l’espace ou de l’idée de l’exposition. Pour moi, le corridor venait d’abord, pour lui, après. Il voulait quitter l’exposition par le corridor, moi, je voulais y aboutir.

Theys: Finally, they decided that Gottfried would start on the inside and that Joëlle would take the ring-shaped gallery. Gottfried wanted to commence by showing older works and to then step back from the space and the idea of an exhibition. He wanted to use the ring-shaped corridor as a point of departure, whereas Joëlle wanted to use it as a place of arrival.

Tuerlinckx : Avant de lancer les images, je voudrais encore vous dire que cette exposition a eu lieu au Kunstverein de Salzburg… Pour moi, c’était important, parce que, pour moi, l’espace d’une exposition… tout à l’heure, je disais « s’arrête au visible », mais il va aussi jusqu’à ce qui est connu ou pas connu. Et Salzbourg était pour moi une ville très tournée vers la culture, une culture totalement officielle, la musique classique et des choses comme ça… Et c’était certain que si quelqu’un allait à Salzbourg, il allait pour écouter du Mozart, mais pas pour voir notre exposition. Pour cette raison, j’ai essayé de poser la question du spectacle… de qui parle… qui a la parole… où est le spectacle… Il y a des signes de ça dans l’exposition…

Theys: For Joëlle, it was important that she was invited by a Kunstverein, a cultural organisation, one that is less of a museum and more a space dedicated to culture in general, to classical music and so on. For this reason, she wanted her exhibition to be about the idea of cultural events in general, about who has a voice and where the event is taking place.

 

II. Tentative de description d’une exposition (en regardant une vidéo qui montre des photos éparpillées et des classeurs) / Attempt to describe a show (while watching a video of scattered photographs and documentation folders)

Theys: We’ll start with last night and work backwards from there.

Tuerlinckx : Dites-moi de m’arrêter s’il y a trop d’images…

Étudiant :    C’était quand, le vernissage ?

Tuerlinckx : Part I : le 16 octobre 1996. Part 2 : le 4 novembre 1996. Finissage : le 1er décembre 1996.

Tuerlinckx : La grande difficulté, c’est que c’est une pièce, surtout la deuxième partie, avec beaucoup de mouvement et une partie électronique. Les lumières bougent et il y a une partie sonore très importante. La première partie aussi. Et donc, je me retrouve avec une quantité d’images et je comprends maintenant que jamais ces images ne me satisferont puisqu’il n’y a pas le son. Voilà pourquoi j’ai une quantité très importante de documentation. Parfois, beaucoup trop. Je ne m’y retrouve pas toujours. Comme vous allez le voir maintenant. Je cherche encore avec la caméra, mais je ne retrouve plus l’exposition.

Theys: We’re now going to look at some slides. Joëlle says there are too many images but this is because she still hasn’t succeeded in grasping the show herself. She also says it’s important to know that the lights were constantly switching on and off and that there was a soundtrack (the aforementioned radio recordings).

Tuerlinckx : Chaque série de diapositives raconte une partie…

Theys: This is how she documents her exhibitions: by making slides using films with 36 exposures, going from 1 to 36, strolling about the exhibition… Her idea was to use the ring-shaped corridor as a space for showing all the materials that she wanted to use in the second part of the exhibition: the numbered chairs, the showcases… and also the poster…

Tuerlinckx : Tout le couloir est vide, toutes les vitrines ont été vidées.

Theys: The corridor was totally empty. The showcases had been emptied and placed at her disposal. She numbered them. Stereophonic sound filtered through the corridor… Comment le son circulait-il ?

Tuerlinckx : If you walked around, the sound seemed to move… It diminished… Puis j’ai fait une promenade, avec un rouleau de bande adhésive.

Theys: Joëlle says that she wanted to respect the architecture. People needed to be able to use the corridor and the doors. She didn’t want to block the doorways. So the place had to remain empty, of course… (Smiles.)

Tuerlinckx : Sauf la porte de la femme qui devait me donner l’argent.

Theys: She only blocked the doorway of the lady who had to pay her.

Theys: To her, the inner room was akin to a huge sculpture, which she had to protect.

Tuerlinckx : De temps en temps, dans le ring, vous voyez, il y a des chaises, qui sont aussi numérotées. À l’entrée du Kunstverein, il y a de grandes plaques murales en marbre, dans lesquelles ils ont gravé toutes sortes de noms, je ne sais pas de qui, peut-être de vieux artistes… Tout ça a un caractère excessivement officiel. Alors, j’ai pris toutes les chaises que j’ai trouvées, 200 ou 300 chaises, je les ai numérotées et je les ai toutes empilées à l’entrée, comme s’il y allait avoir un très grand spectacle, très officiel.

Theys: There were 200 or 300 chairs which she numbered and stacked next to the entrance, as if an important event was due to take place.

Étudiant : Pourquoi tes documents sont-ils des photos et pas une vidéo ?

Theys:  Because, she says, she likes to cut into reality. She also would need a camera with a coloured viewfinder.

Tuerlinckx : Sur la table, vous voyez une pile de catalogues. C’est une partie de l’exposition. Excepté que sur la tranche, il y a la date, le nom et le titre… les catalogues sont abstraits. Je les ai faits aux grammes, avec une balance. Par exemple, j’ai mis un peu de jaune, un peu de rouge, un peu de vert. Tous les catalogues sont uniques…

Theys: To make the catalogues, which were exhibited, she took different amounts of coloured paper and weighed them. As a result, every catalogue has a unique rhythm.

Tuerlinckx : C’est intéressant, parce qu’on peut les acheter, mais personne n’achète ça. Pour moi, les couleurs sont importantes. J’ai beaucoup travaillé à chaque catalogue.

Theys: You could buy them, but nobody was interested. She put a lot of effort into this task.

Tuerlinckx : J’ai fait aussi des films abstraits, basés sur les catalogues. J’ai filmé tous les catalogues en vidéo. Chaque page est devenue le plan d’une vidéo.

Theys: She also made an abstract video based on the multiple copies of the catalogue. It was shown in the second part of the exhibition… We’ll now take a look at Gottfried’s piece. Joëlle photographed the work because it was visible from her exhibition space, so was a part of it, she thought. Furthermore, a section of the corridor was covered with posters and all sorts of other information. She had to take that into account and therefore fabricated some abstract information…

C’est quoi, ce truc orange?

Tuerlinckx : Eh bien, c’est comme une affichette… Ça pendait sur la vitre à travers laquelle on pouvait voir la sculpture de Gottfried.

Theys: The orange item is a small poster that was stuck onto the glass panel through which you could see Gottfried’s sculpture. She never entered his space. She just looked at it from the doorway and took photographs.

Tuerlinckx : La bande adhésive prenait beaucoup la lumière. Pour moi, elle était liée à la bande sonore. On avait l’impression que le son se déposait sur le plastique…

Theys: The Sellotape caught the light and seemed to forge a link with the sound.

Tuerlinckx : Je n’ai utilisé que deux vitrines… Dans la troisième, il n’y a qu’une boule de papier… Chiffonné… Une photo d’un type d’extrême droite qui avait gagné des élections le même jour. Cette boule de papier traînait là, comme si je l’avais oubliée. Il y avait aussi une punaise… Son visage était très abîmé…

Theys: She only used two of the showcases. In the third, she just showed a crumpled piece of paper showing a portrait of a right-winged politician who had just won an election.

Tuerlinckx : Ici, vous voyez tout le matériel que j’ai utilisé dans la deuxième partie de l’exposition… En général, tous les matériaux, les moules que j’utilise, je les inscris sur des listes avec mon ordinateur.

Theys: Here, you can see all of the materials that she planned to use for the second part of the show.

Tuerlinckx : Maintenant, vous voyez une photo qui a été très importante pour la forme de la deuxième partie de l’exposition. Elle a transformé tout le projet… Si vous voulez, l’architecture de cet espace est telle que quand toutes les lumières sont éteintes… c’est une très grande salle… on ne voit pas ça sur la photo… uniquement quand toutes les lumières sont éteintes… la lumière arrive comme dans une caméra obscure… La lumière arrive par la porte et vient se déposer sur le mur et on voit… c’est incroyable ce qu’on voit… on voit les vitres des voitures, les phares de la circulation… les lumières de la police… ils ont beaucoup de voitures de police là-bas… Il y a beaucoup de mouvement, il y a comme un très grand film qui apparaît sur le mur. C’était très, très beau… ces lumières de la police… Les lumières des camions-poubelles aussi. C’est complètement fou, ça influence tout l’espace. Mais, ce qui est très étrange, c’est que personne n’avait remarqué ça… La directrice du Kunstverein et les artistes qui sont venus aux vernissages disaient qu’ils n’avaient jamais vu ces images…

Theys: This photograph captures the play of light upon one of the walls in the large space. It was produced by the cars outside and streamed into the room through the doorway. She was astonished to hear that nobody had noticed these effects before.

Tuerlinckx : Mon premier projet pour la deuxième partie était de transformer toute cette salle en salle de cinéma (en posant les chaises numérotées) et de montrer un film abstrait que j’avais réalisé en 16 mm…

Theys: Her first project for the second part of the exhibition was to turn the large space into a movie theatre (by adding the numbered chairs). She would present an abstract 16 mm film in the space.

Tuerlinckx : Pendant la première partie, lorsqu’il y avait la bande sonore, on entendait aussi quelqu’un compter en allemand pour tester un micro. Surtout les journalistes voulaient toujours savoir ce qu’il y aurait à voir après…

Theys: During the first part of the exhibition, you could hear a microphone being tested. The journalists, in particular, wanted to know what was going to happen next.

Tuerlinckx : « Ein, zwei, drei. » J’aime bien qu’on soit curieux, mais le problème avec les journalistes, c’est qu’ils ne sont jamais curieux du présent…

Theys: She loves curiosity, but seems to have discovered that journalists are never interested in the present.

Tuerlinckx : Donc, pour la deuxième partie, j’ai décidé de montrer mon film, mais en petit. Le film n’est projeté en grand que le dernier soir de l’exposition, après que l’exposition est finie… pour un soir…

Theys: Finally, she decided to show her movie during the second instalment but only on a very small scale. Only on the last day, after the show, was it projected like a ‘real’ movie.

Tuerlinckx : Ici, vous voyez de nouveau mes tentatives de mise en page pour ce catalogue stupide…

Theys: Here you can see her attempts to design the catalogue... She couldn’t do anything with the square format and decided to use it as a kind of ‘cupboard’ in which to store her materials…

Tuerlinckx : Oui, comme une bibliothèque.

Theys: You can see all of the various elements: the catalogue cover, the black numbering, the white numbering… the invitation card… the poster. The poster also had to be square.

Tuerlinckx : C’est la coutume là-bas, il faut tout faire en forme de carré… Ici, j’ai mis trois mots pour mon exposition et trois pour celle de Gottfried. Pour Gottfried, c’étaient l’exposition, la sculpture et la zone d’images. Et pour moi, j’ai mis : le matériel de l’exposition, l’architecture et la zone de son.

Theys: She added three words for each artist. For Gottfried: the exhibition, the sculpture, the image area. For her: the exhibition material, the architecture and sound.

Tuerlinckx : D’ailleurs, l’affiche a été refusée au début. Ils trouvaient qu’elle était trop blanche. J’avais pris le lettrage absolument nécessaire pour la lire, alors le poster était tout grand et blanc et… pas la bonne couleur, pas la bonne dimension, c’est comme si tout était raté, mais c’était très beau… puis… c’était la seule pièce commune… Gottfried l’a mise à l’intérieur de l’exposition et moi, je l’ai mise à l’extérieur.

Theys: The first version of the poster was rejected for being too white. At the end of the day, it was the only common work of art. Gottfried showed it inside and Joëlle showed it outside… He also used chair no. 2 to show there was a degree of dialogue… For the second part of the exhibition, Gottfried wrote a dream upon the showcases…

Tuerlinckx : Ici, vous voyez les mots « Mehr Licht… nicht mehr… ». J’ai toujours adoré l’anecdote selon laquelle Goethe serait mort en prononçant les paroles « Mehr Licht ». Depuis longtemps, je voulais qu’une de mes pièces ait ce titre… Et quand j’ai proposé d’utiliser ce titre pour cette exposition, Gottfried m’a raconté que l’on disait aussi que Goethe serait mort en disant « Nicht mehr ». Alors, nous avons combiné les deux phrases. Est-ce que tu pourrais traduire ça, Hans ? Oui, il y a des fautes d’orthographe partout… parce qu’on a fait ça tard dans la nuit… Vous voyez ce rêve écrit ?

Theys: This is his dream, written on the showcases… The letters cast shadows.

Tuerlinckx : Ce qu’on ne voit pas bien, c’est qu’il y a une double couche… Quand, moi, j’avais noté les chiffres sur les vitrines, on voyait que tous les spots créaient des ombres au fond des vitrines. Nous n’avons pas touché aux spots. Et avec le texte de Gottfried, on voyait évidemment se produire le même phénomène : les mots étaient dédoublés, ce qui faisait qu’il y avait comme un écho.

Theys: Due to the lack of daylight in the inner room and corridor, there is a very complex system for illuminating the spaces… There are neon lights, squares of neon lights and spotlights. Joëlle worked with an engineer to design a machine that could switch the lights on and off, as if someone was trying to turn them on but keeps making mistakes… So one spot comes on, two neon lights go out, a square starts to blink… This continued throughout the second part of the exhibition.

Tuerlinckx : J’ai conçu la salle dans ce sens-là, dans la longueur… Comme une salle où il y a un concert et où l’on a mis une table de mixage. J’ai mis les deux caméras et les deux télévisions qui projettent le film abstrait du catalogue. Les deux moniteurs sont réglés avec des couleurs différentes…

Theys: Two television screens with different coloured test cards were placed  halfway down the room, just like a mixing deck at a concert…

Tuerlinckx : Au fond, vous voyez le film abstrait… Parfois, je mets ma main devant la caméra, alors il n’y a plus de film… Enfin si, le film continue, mais c’est comme s’il s’éteignait… Parfois, vous avez des lumières qui s’allument… Alors, il y a plein de mouvements, comme ça, qui évoluent dans l’espace… On ne comprend pas bien ce que c’est… Je vous explique pour que vous puissiez comprendre… Sinon, on ne comprend pas bien…

Theys: You can see the abstract movie at the back… Didn’t you just say that the film was projected on a small screen?

N’avais-tu pas dit qu’il était projeté en petit ?

Tuerlinckx : Oui, j’appelle ça petit par rapport à la grandeur de la salle… On voit très mal…

Theys: The projection was small in comparison to the scale of the space…

It’s just a small part of the large room, the slide gives the wrong impression… From time to time, she would wave her hand in front of the camera, thereby creating the illusion that the movie fades or stops. While this is happening, the lights are constantly switching themselves on and off …

Et dans le film sur les moniteurs, on voit alors les pages colorées qui défilent aussi selon un rythme différent ?

Tuerlinckx : Oui.

Theys: You do, in fact, have a kind of repetition in the strange, unpredictable rhythm of the changing lights, because of the varied rhythm of the coloured test cards on the television screens, which were considered to be a mixing table.

Tuerlinckx : Il ne faut pas oublier que tout le bruit du corridor, c’est-à-dire les enregistrements superposés de la première partie, gagnait maintenant la grande salle par la vidéo…

Theys: The sound that could be heard in the corridor during the first part of the show now infiltrates the larger space via the videos… At the same time, there were also two big loudspeakers. What were they used for?

Tuerlinckx : Dans les deux baffles, parfois, on entend quelqu’un qui traverse toute la salle en courant… qui sort dans le corridor… qui court, qui court et qui revient… C’est tout à fait bête si je vous explique ça, mais quand on est dans l’espace, c’est très bizarre, on a l’impression que quelqu’un… On ne sait pas ce qui se passe, les lumières s’éteignent, quelqu’un court… le film s’éteint, le film se rallume… En même temps, c’était impossible qu’une personne coure, parce qu’il y avait partout des dessins par terre… des morceaux de papier…

Theys: The two loudspeakers emitted the sound of a person running through the corridor. Which was physically impossible, of course, because the floor was covered with drawings.

Tuerlinckx : Les néons s’allumaient doucement et faisaient aussi des dessins.

Theys: The neon lights created their own kind of drawings: slowly moving drawings of shadow and light… Joëlle says that she tried to reconstruct this movement with static images but I don’t understand what she means…

Tuerlinckx : Oui, on ne comprend plus parce que la caméra avait du mal à régler cette image… D’abord, il y avait un micro ici et un dessin par terre… Le micro était branché. Si vous marchiez, ça résonnait dans tout l’espace… J’ai oublié de vous raconter une chose très importante… dans la bande sonore, il y a l’effet Larsen… vous connaissez l’effet Larsen ? Ça se produit lorsqu’on enregistre le son trop près du baffle et alors, au début ça siffle, mais après, ça fait trembler les fenêtres.

Theys: The glass panels of the showcases ?

Tuerlinckx : Oui, les vitres avec le rêve de Gottfried…

Theys: A microphone registered the sound of people’s footsteps and the recording was amplified. At the same time, the soundtrack contained Larsen effects, which made the glass in the showcases vibrate. The glass panels that captured Gottfried’s dream. She says it was frightening.

Tuerlinckx : Oui. Parfois, vous avez ce bruit qui monte et puis ça prend des proportions… On a très peur… Et puis, ça disparaît… Ici, vous voyez un document qui m’intéresse beaucoup… C’est en rapport avec les événements en Belgique… L’affaire Dutroux. C’est le ministre de la Justice qui parle devant toutes les caméras et dans plein de micros… Je voulais le publier dans un cahier ou le donner aux gens.

 

Montagne de Miel, 14 December 1999