Hans Theys est un philosophe du XXe siècle, agissant comme critique d’art et commissaire d'exposition pour apprendre plus sur la pratique artistique. Il a écrit des dizaines de livres sur l'art contemporain et a publié des centaines d’essais, d’interviews et de critiques dans des livres, des catalogues et des magazines. Toutes ses publications sont basées sur des collaborations et des conversations avec les artistes en question.

Cette plateforme a été créée par Evi Bert (Centrum Kunstarchieven Vlaanderen) en collaboration avec l'Académie royale des Beaux-Arts à Anvers (Groupe de Recherche ArchiVolt), M HKA, Anvers et Koen Van der Auwera. Nous remercions vivement Idris Sevenans (HOR) et Marc Ruyters (Hart Magazine).

ESSAYS, INTERVIEWS & REVIEWS

Pierre Droulers - 2000 - Comment emprisoner Ann Veronica Janssens [FR, essay]
Texte , 2 p.

 

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Hans Theys

 

 

Comment emprisoner Ann Veronica Janssens dans une chorégraphie ?

Notice pour Pierre Droulers

 

Deux fois, lors d’une conférence sur l’œuvre de Ann Veronica Janssens, quelqu’un qui se trouvait dans la salle m’a demandé si je n’avais pas l’impression que cette artiste n’aimait pas les gens. Voici une question surprenante pour quelqu’un qui s’est familiarisé avec l’œuvre de cette artiste douce, respectueuse et prudente. Et en même temps pas si surprenante que ça, puisque, en effet, beaucoup de diapositives faites lors d’expositions montrent ses œuvres dans des conditions presque stériles, comme si elles ne supportaient pas la présence de gens.

    Aujourd’hui je pense que le rapport intime avec le spectateur ou la spectatrice que demande presque chaque sculpture de Ann Veronica Janssens, exige en même temps qu’il n’y ait pas trop de gens autour. Sans paix convenable l’expérience optique, physique, sensorielle ou sensuelle peut ne pas avoir lieu.

Maintenant, en quoi consiste cette œuvre si délicate et mystérieuse qu’elle semble ne supporter qu’un spectateur ? Lorsque, il y a quatre ans, l’artiste Joëlle Tuerlinckx a invité Ann Véronica Janssens à une contribution dans un musée vide (comme acte d’exposition Joëlle Tuerlinckx avait ouvert et rendu accessible le musée 24 heures sur 24, tout en prenant soin que l’éclairage du musée change continuellement, jour et nuit), Ann Veronica fit un petit carton portant une inscription qui invitait le spectateur à voir “une vibration lumineuse 8 cm au-dessus du sol”.

    Pour une autre exposition elle a scellé l’aile d’un béguinage, faisant retentir dans cette aile fermée des bruits d’explosions qui faisaient trembler tout le béguinage.

    En janvier 1997 elle a rempli de brouillard deux grandes salles d’un musée à Anvers.

    Elle a aussi fait plusieurs sculptures avec des miroirs, des liquides ou des simples plaques de verre ou de plexiglas qui attrapent la lumière ou des images, comme des instants ralentis entre nos yeux et le monde.

Souvent ses œuvres nous renvoient à l’extérieur. Elles nous montrent ce qu’il y a à voir. Ainsi, la lune me fait toujours penser à l’œuvre de Ann Veronica Janssens. La nuit elle nous indique que le soleil continue sa besogne. Elle nous donne une place dans l’espace. Tous les nuages aussi me font penser à son œuvre. Quels beaux engins de gaz et de lumière ! Cet après-midi j’ai pensé à cette œuvre en voyant la fumée qui s’échappait d’une haute cheminée à Vilvoorde… Tout ce qui bouge dans le ciel m’y fait penser… La fumée blanche, orange ou rose, produite par des avions. Les avions eux-mêmes, qui reflètent la lumière. Les pigeons lorsqu’ils tournent en rond au-dessus de notre jardin et, ce faisant, dans le virage montrent leur ventre au soleil et pendant une seconde scintillent comme des paillettes en papier argenté.

‘Si tu veux que Ann Veronica ajoute une expérience à cette chorégraphie,” dis-je à Pierre Droulers, “il faudrait ligoter les danseurs dans les coulisses et créer des brèches de quatre minutes, des breaks, des pauses, des trous, et demander à Ann Veronica si elle ne pourrait pas faire passer un petit nuage ou une lune qui pendant quatre minutes attraperait pour nous une lumière ou une image. Je pense qu’il faudrait lui donner trois fois quatre minutes de paix et elle nous ferait écouter le rire d’une petite fille, le chant d’un petit garçon et des soupirs de gens inconnus. En fait, il lui faut des ‘Ma’ dans ton spectacle. Il faudrait faire de la place, il faudrait se retirer, il faudrait oublier la chorégraphie.’

    ‘Pour De l’air et du vent j’avais créé une lumière glissante qui se déplaçait de gauche à droite,’ dit Jim Clayburgh, ‘mais on ne la voyait pas glisser à cause des danseurs. Le mouvement des danseurs empêchait le spectateur de voir le mouvement de la lumière.’

    ‘Il y a quatre ans,’ raconte Pierre Droulers, ‘lorsque nous travaillions au spectacle De l’air et du vent, Ann Veronica avait créé un espace avec des miroirs. C’était magnifique. Appelons les danseurs ! dit-je. Ah non, me fit-elle, ça doit rester vide ! Maintenant elle a créé un espace rempli de brouillard que Jim éclairera avec un dégradé du rouge vers le bleu. Nous allons montrer cette sculpture à Tours comme bande d’annonce du spectacle. Je me demande si on ne la montrerait pas tout simplement comme dernier acte du spectacle.’

 

 

Montagne de Miel, 14 avril 2000