Hans Theys is a twentieth-century philosopher and art historian. He has written and designed dozens of books on the works of contemporary artists and published hundreds of essays, interviews and reviews in books, catalogues and magazines. All his publications are based on actual collaborations and conversations with artists.

This platform was developed by Evi Bert (M HKA / Centrum Kunstarchieven Vlaanderen) in collaboration with the Royal Academy of Fine Arts in Antwerp (Research group Archivolt), M HKA, Antwerp and Koen Van der Auwera. We also thank Idris Sevenans (HOR) and Marc Ruyters (Hart Magazine).

ESSAYS, INTERVIEWS & REVIEWS

Pierre Droulers - 2000 - Le labyrinthe [FR, interview]
Interview , 3 p.

 

 

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Hans Theys

 

 

Le labyrinthe est la patrie de celui qui hésite

Entretien avec Pierre Droulers

 

- J’aimerais te demander, à la place des spectateurs, s’il y a des passages dans le spectacle que tu aimes particulièrement bien. C’est peut-être une autre façon d’aborder un spectacle fini, que de lui conférer des significations profondes.

Pierre Droulers : J’aimerais distinguer trois choses à ce propos. D’abord il est clair qu’une fois qu’un spectacle est fait il existe par lui-même et il se suffit comme objet de vision. Je n’ai rien à y ajouter. La deuxième chose qui me vient à l’esprit, c’est une anecdote concernant un peintre, je ne sais plus si c’était Monet ou Bonnard, qui s’introduisait dans les lieux d’exposition avec de la couleur et un pinceau cachés dans sa poche, pour retoucher ses propres tableaux. Pour celui qui le fait un tableau n’est jamais terminé. Finalement, il est vrai aussi qu’à partir du moment où un spectacle est présenté chacun le vivra avec son propre passé, avec sa propre histoire.

      Ceci dit, je dois avouer que j’aime beaucoup le début du spectacle, parce qu’il se présente comme une sorte de promesse. C’est très simple. L’espace est mis en mobilité par les panneaux blancs et après avoir posé son panneau chaque danseur livre un peu de lui-même, offre une ouverture. Les personnes ne se sont pas encore tout à fait montrées et il y a quelque chose qui n’est pas encore figuré. J’aime beaucoup cet état-là. Je regrette déjà que ça ne dure pas plus longtemps. (Rires.)

      Je souhaite qu’à la fin du spectacle nous retrouvons ce même état. Pas en utilisant la même image, mais en reprenant distance avec des choses trop précisées. À la fin les personnages sont plus accrus, par exemple Harold avec ses gants de boxe ou Céline qui se déshabille. Pour la première à Bruxelles j’aimerais toucher à une fin moins déterminée, mais je ne vois pas encore comment y arriver.

- Y avait-il au départ des répétitions une image qui a abouti dans le spectacle fini ?

Pierre Droulers : J’avais sélectionné un jeu d’images montrant des sections de la ville, de la campagne, d’architectures… Il y avait aussi l’idée de faire un spectacle en six mouvements… Il en reste des traces, bien sûr, mais souvent les images sont détournées ou elles apparaissent à des moment inattendus, dans les attentes et les désirs imprévisibles. Peut-être les images du début auraient dû prendre forme dans une image bien claire à la fin du spectacle, peut-être elles ne sont plus visibles pour moi, mais très visibles pour les spectateurs, présentes en filigrane à travers tout.

- Quelle image voudrais-tu que les spectateurs retiennent du spectacle ?

Pierre Droulers : J’aimerais que le spectateur se promène parmi les images que nous lui offrons et qu’il rentre avec l’impression d’avoir été le voyeur de quelque chose qu’il avait déjà en lui. J’aimerais rapprocher ça d’une phrase de Walter Benjamin qui dit que la vie privée du promeneur est la vie publique des autres. Le promeneur flâne parmi les fantasmes et les désirs des autres. Cela va aussi pour moi. La singularité de ce que je propose doit toucher à ma propre expérience et à l’expérience de tout le monde. Je suis moi-même un marcheur. Walter Benjamin dit que le labyrinthe est la patrie de celui qui hésite. On peut aller à droite ou à gauche. Parfois ça devient comique…

      Un passage que j’aime bien, c’est le moment ou Harold mime une chanson en se contorsionnant. Il bouge comme s’il essayait de sortir d’un vêtement loué qui ne lui va pas vraiment. Derrière lui le paysage défile, comme s’il rêvait. C‘est une rêverie de la ville. Le spectateur pourrait dire : bon, il ne chante pas vraiment, à quoi bon ? Mais la beauté du moment se trouve aussi dans la durée. Il ne chante pas vraiment, mais il vit la chanson dans ce mouvement un peu narcissique. On sent qu’il voudrait bien être une star…

      Tu vois, ce que nous n’avons pas encore obtenu à la fin du spectacle, c’est le brouillard. Pendant les préparations de « MA » Ann Veronica Janssens et Jim Clayburgh ont créé une préfiguration du spectacle, que nous avons montrée à Tours. Il s’agissait d’une scène de théâtre inondée d’un brouillard artificiel. Les spectateurs entraient par les coulisses et cheminaient sur la scène dans un brouillard coloré qui allait d’un orange vif à un bleu de nuit. Ça m’a beaucoup plu. Le brouillard, c’est la consolation pour la solitude. On ne voyait pas les autres, mais on entendait leurs pas. La proximité de l’autre est une consolation. Voilà ce qu’il nous faut pour la fin du spectacle. C’est le défi pour la semaine qui vient.

 

 

Montagne de Miel, 5 octobre 2000