Hans Theys is a twentieth-century philosopher and art historian. He has written and designed dozens of books on the works of contemporary artists and published hundreds of essays, interviews and reviews in books, catalogues and magazines. All his publications are based on actual collaborations and conversations with artists.

This platform was developed by Evi Bert (M HKA / Centrum Kunstarchieven Vlaanderen) in collaboration with the Royal Academy of Fine Arts in Antwerp (Research group Archivolt), M HKA, Antwerp and Koen Van der Auwera. We also thank Idris Sevenans (HOR) and Marc Ruyters (Hart Magazine).

ESSAYS, INTERVIEWS & REVIEWS

xpo - 2023 - Just for Today I will be Unafraid [FR, gallery text]
Interview , 2 p.

 

 

 

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Carla Van Campenhout

 

 

Le règne de la différence

Entretien avec Hans Theys

 

 

— Vous réunissez des œuvres qui n’ont apparemment pas grand-chose à voir les unes avec les autres. Est-ce l’intention ?

HT : En effet. Je suis très heureux que la Galerie B m’ait donné la possibilité de réunir toutes les œuvres nécessaires à mes yeux. Leurs similitudes sont plus grandes que leurs différences. Elles sont toutes bien faites, elles sont toutes personnelles, elles sont toutes issues d’une passion soutenue. Dans le cas de Ronald Ophuis, Max Pinckers et Victoria Parvanova, il s’agit d’un engagement politique croisé avec une forme spécifique et personnelle. Les peintures d’Ophuis ont une approche radicale, qui rend l’événement représenté aussi concret que possible et le soustrait au monde de l’image immatérielle. Les peintures plates de Parvanova, elles, partent du même monde superficiel, dans lequel les mannequins, les influenceurs YouTube, les aventures de Barbie, les livres à colorier des années 90, le kitsch, les icônes de la soi-disant haute culture et le bimbo-féminisme se succèdent ou se chevauchent. Quant à Pinckers, il a imaginé l’utilisation manifeste de la lumière artificielle et de la mise en scène pour montrer la subjectivité de ses photographies documentaires.

 

— Certaines personnes distinguent, dans le monde de l’art, différents styles ou écoles, qu’elles jugent incompatibles.

HT : Notre cerveau aime donner du sens aux choses pour mieux s’en souvenir. Cela nous fait oublier que les choses qui signifient quelque chose pour nous, comme un arbre, n’ont pas besoin d’une signification pour ce faire. Diviser l’art en écoles et en soi-disant styles est une façon de gérer une chose sans vraiment la saisir. Il en va de même pour toutes les manifestations de diversité dans la nature et dans l’art. Certaines personnes aiment trier les choses et chercher des similitudes. D’autres font confiance à leurs sens et recherchent les différences, source de plaisir sans fin.

 

— Plaisir ?

HT : Jorik Dzobava, Kasper Bosmans et Felix Declercq réalisent de magnifiques peintures, tirées d’huile et de rêves secrets. Ce sont des hommes de métier, ça se voit tout de suite. Pourtant, leurs œuvres ne se ressemblent pas. Cette diversité m’émeut.

 

— L’émotion est-elle importante pour vous ?

HT : Quand nous avons de la chance, les choses nous remuent. Nous sommes moins seuls alors, je pense. Nous ressentons la passion de personnes partageant notre vision du monde, leur attention pour le presque invisible, leurs efforts pour transcender la peur, le découragement et la paralysie.

 

— Et les sculpteurs ?

HT : Ici aussi, nous voyons comment différents objets, matériaux et techniques se rencontrent de manière inattendue. Laurence Petrone a fait la première œuvre que j’ai vue avec du marbre et une corde. Kasper De Vos, lui, combine des formes modelées avec des objets trouvés d’une manière que je n’avais jamais vue auparavant. Fran Van Coppenolle crée des volumes avec du textile, comme Panamarenko l’avait fait avec de l’acier. Simon Masschelein a développé une nouvelle façon de conjuguer la pierre et le bois sculpté avec l’acier soudé et la colle. Ici aussi, nous voyons beaucoup de différences personnelles, mais nous ressentons la même passion.

 

— Vous aimez la différence ?

HT : Le rêve de liberté se révèle à travers la différence. La différence nous donne le droit d’être différents nous-mêmes.

 

— Voudriez-vous dire quelque chose sur le travail d’Idris Sevenans ?

HT : Sevenans est un touche-à-tout de génie. Tout clignote dans son cerveau et tout est inversé, retourné, tordu et fouetté. Il paraît que Marcel Broodthaers vit toujours à Venise, centenaire entre-temps, et qu’il aime le travail de Sevenans. Il aurait même acheté deux œuvres. L’archive flottante que vous voyez ici est le résultat de la mode actuelle qui consiste à maintenir les musées à flot à coups de subventions pour leur travail d’archives. Personne ne sait si nous avons vraiment besoin de toutes ces archives. Nous arrivons à peine à voir les œuvres d’art elles-mêmes.

 

— Sauf ici.

HT : J’en ai mis autant que possible. Toutes des œuvres qui m’émeuvent. Faites par des artistes qui m’ont aidé à vivre.

 

 

Durbuy, le 5 février 2023