Hans Theys est un philosophe du XXe siècle, agissant comme critique d’art et commissaire d'exposition pour apprendre plus sur la pratique artistique. Il a écrit des dizaines de livres sur l'art contemporain et a publié des centaines d’essais, d’interviews et de critiques dans des livres, des catalogues et des magazines. Toutes ses publications sont basées sur des collaborations et des conversations avec les artistes en question.

Cette plateforme a été créée par Evi Bert (Centrum Kunstarchieven Vlaanderen) en collaboration avec l'Académie royale des Beaux-Arts à Anvers (Groupe de Recherche ArchiVolt), M HKA, Anvers et Koen Van der Auwera. Nous remercions vivement Idris Sevenans (HOR) et Marc Ruyters (Hart Magazine).

KUNSTENAARS / ARTISTS

Bernd Lohaus - 2009 - Besliste incisies [NL, essay]
Texte , 2 p.




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Hans Theys


Des incisions décisives
A propos de l’œuvre de Bernd Lohaus


Bernd Lohaus est né en 1940 à Düsseldorf, où, à l’issue d’une formation classique de sculpteur, il est allé étudier à l’Académie dans la classe de Joseph Beuys. Sa première exposition a lieu à Madrid en 1965 et s’intitulait El Nascimiento del Huevo (La naissance de l’œuf). On y voit une chaise dont les pieds reposent sur quatre œufs frais. Des œufs sont mangés ou jetés sur une feuille de papier accrochée au mur. Un des happenings consiste à faire réciter l’alphabet en quatre langues simultanément en remplaçant la lettre correspondant à la langue par son nom (a, b, c, Deutsch, etc.), la simultanéité initiale étant dérangée rapidement par des contrepoints. Une autre intervention consiste à laisser sonner un réveil. Deux ans plus tard, Lohaus expose à la galerie bruxelloise New Smith Gallery des œuvres avec des cordes et des ‘coudrages’: papier ou étoffe travaillé au fil et à l’aiguille.

Plus de quarante ans plus tard, Lohaus réalise toujours des sculptures portant les caractéristiques de ces premières interventions.  Son travail est constant. Qu’il s’agisse de sculptures en bronze ou en bois, de caisses ou de boîtes graissées de cire d’abeille, de dessins au crayon, d’aquarelles ou d’œuvres avec des cordes, ses créations témoignent chaque fois d’une approche concise et humble qui débouche sur une puissante intervention spatiale et poétique. Plus vous regardez cette œuvre, plus elle vous émeut. Elle est sans compromis, tendre et honnête.

On peut considérer le travail artistique de Lohaus comme une série d’incisions décisives qui en finissent avec l’époque de la contemplation et de la réflexion. Le réveil qui sonne tranche l’espace comme un burin. En même temps, ces incisions frissonnent à la surface. Lohaus travaille avec du bois très dur qui se prête mal au travail. Ses inscriptions sont minimales. Le bois porte parfois de légères traces de craie.

La superficialité de ces inscriptions donne à l’œuvre de Lohaus quelque chose d’architectural. La sculpture devient un objet à la peau fascinante qui ressemble de près à un paysage. Les sculptures en bronze sont des modèles architecturaux d’empilement gigantesques : autels, chapelles, dolmens.

En même temps, les grandes poutres ressemblent à des cicatrices sur la peau de la terre.

On pourrait considérer ces sculptures comme des noyés pensifs bercés au fond de la mer comme dans le poème de Rimbaud. On peut y voir un lien avec les coudrages de 1967: les poèmes de quelqu’un qui aime effleurer délicatement une surface. On peut y voir des représentations architecturales. On peut y voir ce qu’on veut.

 

Montagne de Miel, 30 avril 2009