Hans Theys is a twentieth-century philosopher and art historian. He has written and designed dozens of books on the works of contemporary artists and published hundreds of essays, interviews and reviews in books, catalogues and magazines. All his publications are based on actual collaborations and conversations with artists.

This platform was developed by Evi Bert (M HKA / Centrum Kunstarchieven Vlaanderen) in collaboration with the Royal Academy of Fine Arts in Antwerp (Research group Archivolt), M HKA, Antwerp and Koen Van der Auwera. We also thank Idris Sevenans (HOR) and Marc Ruyters (Hart Magazine).

KUNSTENAARS / ARTISTS

Walter Swennen - 2015 - At his Own Risk [FR, interview]
Interview , 4 p.

 

 

 

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Hans Theys

 

 

À ses risques et périls

Quelques mots à l’occasion d’une exposition de Walter Swennen

 

 

4 juillet 2015. Walter Swennen me présente les peintures qu’il exposera chez Gladstone Gallery en septembre prochain. Presque toutes les œuvres de Swennen sont des corollaires basés sur le constat qu’un tableau est généralement un objet assez plat. Ses tableaux sont des pensées concrètes et pneumatiques, issus d’un « faire » tenace et composés de toile, panneau, peinture, couleurs, différences de texture, des mots télescopés ou désintégrés, des dessins ou des dessins trouvés qui contiennent des erreurs.

Tout en me montrant une toile contenant la silhouette d’un cochon (Blue Pig, 2015), Swennen raconte que la femme de ménage avait longuement regardé ce tableau avant de conclure son observation par les paroles : « J’ai toujours adoré les jouets en peluche ». Tout en me racontant cette anecdote, Swennen fronce les sourcils. Je crois que je sais pourquoi. D’abord, sa toile est réduite à une image et puis, cette image est interprétée comme une référence à une matière. Cela fait penser à un tour de magie, par lequel une peinture disparaît et est remplacée par un lapin blanc… Hier, Swennen m’avait parlé d’un autre incident. Terminant un commentaire sur la texture d’une toile, il confie à une journaliste que l’image contenue dans la toile lui rappelle Krazy Kat. Plus tard, il lira que la toile est « inspirée par » ce personnage de bande dessinée. « Ça m’a mis dans tous mes états », ajouta-t-il. « Les gens croient toujours que ce qu’on peut lire dans une toile est également à l’origine de l’œuvre. »

 

 

Conversation

 

Walter Swennen: Je n’aimais pas le fond jaune de la peinture intitulée Two Egyptians (2015). C’était trop propre. La nuit dernière, j’ai posé la toile par terre et j’ai versé de la peinture rouge et bleue, et beaucoup d’eau par-dessus. J’ai laissé sécher pendant quelque temps et puis j’ai frotté le fond jaune, mais pas les bords ni les personnages. C’était la règle que je devais respecter. En conséquence, j’ai obtenu ces étranges taches rouges (dont une a la forme d’une bouche) et ces bords sales qui semblent avoir été peints avant le fond jaune et non après.

Est-ce que tu aimes cette musique ? C’est le pianiste Lennie Tristano. Il a un toucher incroyable. Il semble frapper toutes les touches avec la même force. Quelle assurance dans l’exécution…

 

(Nous écoutons la musique, ni lyrique ni sentimentale.)

 

Swennen: Tu as écrit à plusieurs reprises que la décision de mes parents de changer de langue quand j’avais 5 ans, me laissant dans le désarroi à l’école, a forcément dû influencer mon œuvre. Je crois que ce passage d’une langue maternelle à une autre m’a fait comprendre que le monde n’avait aucun sens, de sorte que je ne devais pas me soucier du sens ou de la signification. D’où le fait que je sois toujours préoccupé par cela. (Rires.) Octave Mannoni a écrit à propos de Mallarmé qu’il était assurément un poète, mais qu’il n’avait rien à dire. Il s’ensuit que le contenu poétique devait être recherché ailleurs que dans ce qu’il avait à dire. C’est pour cela que la poésie de Mallarmé a toujours été une expérimentation avec le langage plutôt qu’une expression de vie. D’après Mannoni, la critique littéraire est obnubilée par « le désir invétéré de comprendre », ce qui nous amène à rechercher un sens qui serait caché sous les mots. Mais le vrai trésor est caché derrière le soi-disant sens. Il consiste uniquement en effets de langage purs. La même chose vaut pour la peinture. En ce qui me concerne, je crois que je manipule les choses pour transformer le non-sens en énigme… C’est une supercherie… Je me souviens que le sculpteur Bernd Lohaus m’avait raconté que le succès artistique est dû pour moitié au génie et pour moitié à l’escroquerie… (Rires.) Que penses-tu du tableau Feed the Fish (2015) ?

 

- À supposer que quelqu’un veuille faire un faux Swennen : elle, il ou ille n’aurait jamais pu faire cette peinture-ci… Nous la reconnaissons comme une de tes œuvres, mais nous n’aurions jamais pu l’anticiper. Il n’y avait que toi qui aurais pu changer le mot « animaux » en « poisson ». J’aime aussi le traitement des lettres. Cela me rappelle les lettres recouvertes en apparence de neige que tu avais peintes il y a vingt ans. Et pourtant, c’est encore différent.

 

Swennen: J’ai réalisé ces contours blancs en ajoutant de la peinture acrylique, puis en les laissant sécher pendant quelques minutes avant de les effacer à nouveau. Plus le temps de séchage est long, plus il y a de la peinture qui adhère à la toile. Comme la peinture sèche plus vite au bord, j’ai obtenu ces contours inattendus… Depuis que j’ai découvert les propriétés des nouvelles peintures acryliques, il n’y a pas si longtemps de cela, je les utilise de plus en plus. Elles me permettent de travailler plus vite, bien sûr, mais aussi d’utiliser la peinture comme si je réalisais des aquarelles. J’aime mélanger de la peinture acrylique avec de l’eau, superposer de fines couches et voir le résultat immédiatement. Si le résultat ne me satisfait pas, je peux alors effacer la couche. Donc, la toile intitulée Ghost Dance (2015) a été créée en ajoutant couche sur couche jusqu’à ce que le fantôme soit sur le point de disparaître.

 

- Le tableau à la bouteille de vin français (Nan’s Still Life, 2015) illustre l’emploi de dessins existants, une pratique typique de ton œuvre : le mot « français » est maladroitement coupé en deux parce que le dessinateur réfléchissait au lieu d’observer.

 

Swennen: L’image se base sur une nature morte réalisée par ma défunte femme Nan. Un jour, elle décida qu’elle voulait se former au dessin et elle suivit une ou deux fois des cours du soir.

 

- Sur un des tableaux tu as ajouté une ombre au dessin, comme un jeu sur l’absence de profondeur. 

 

Swennen: Comme tu le sais, je continue d’étudier les écrits de philosophes, en particulier lorsqu’ils écrivent sur l’art. À ce jour, je n’ai pas trouvé plus d’un ou deux philosophes qui s’approchent vraiment de l’art. De temps en temps, pour me consoler, je rouvre un livre d’Étienne Gilson. Au moins, les Thomistes sont clairs. (Rires.) Par exemple : « L’image doit son existence à quelque chose d’autre qu’elle-même, alors qu’un tableau doit son existence à lui-même. » Heureusement, la peinture continuera à perturber les choses. Et mon livre préféré sur la peinture reste le Compendium de Jacques Blockx, « à l’usage des artistes peintres et des amateurs de tableaux ».

Tu te souviens de mes tableaux composés de cercles colorés ? Pour les créer, j’avais la série de règles suivantes à suivre. Tout d’abord, il y avait sept couleurs et trois brosses pour ainsi dire de la même taille. Sept pièces de monnaie numérotées, se référant aux couleurs, étaient lancées sur la toile. Un cercle d’une couleur donnée devait recouvrir l’endroit où la pièce correspondante était tombée. Le tableau devait être réalisé pendant que la couleur était encore fraîche. Les cercles ont été réalisés en utilisant trois disques de tailles différentes ayant des petits pieds afin d’éviter que la peinture ne glisse sous le disque. Quand je décidais de la façon de positionner un nouveau cercle, je devais veiller à ne pas créer de « Gestalt », c’est-à-dire une silhouette ou une illusion de profondeur. La peinture devait rester un à-plat. La profondeur du tableau ne pouvait provenir que des couleurs et des magnifiques collisions entre les cercles.

J’ai repensé à ces tableaux tandis que je travaillais sur To Mona Mills (2015) la semaine dernière. D’abord, j’ai déposé la toile sur le sol et par-ci par-là, j’ai ajouté de petites quantités de peintures acryliques bleues. Ensuite, j’ai ajouté de l’eau et je me suis mis à tamponner et à frotter la toile avec cet ustensile de nettoyage. (Il montre le geste.) Le but était de diluer la peinture dans l’eau tout en évitant que l’eau ne dégouline de la toile. La peinture à l’huile se dilue rapidement dans un médium. La peinture acrylique, en revanche, se dilue lentement. Tout en essayant de diluer la peinture et de contrôler l’eau, j’ai créé un pan réellement chaotique, quelque chose d’impossible à réaliser en fait si on essaie de le faire consciemment. En fait, je ne l’ai pas créée cette surface, elle est apparue. Heureusement, mon ustensile de nettoyage n’était pas vraiment adapté au travail… De toute façon, je ne peux pas continuer à peindre comme ça, sinon ils vont me traiter de peintre cosmique. (Rires.)

 

- J’aime le tableau parce qu’il recourt aux couleurs de base d’un paysage traditionnel : le rouge et le bleu, avec le sol rouge peint sur le bleu, qui reste visible.

 

Swennen: Le rouge a été ajouté lorsque la toile était légèrement penchée.
Je laisse la peinture couler, mais après je la stoppe. J’essaie d’éviter les dégoulinades pour éviter de créer l’illusion d’une expression.

 

- Et le tableau h’m (2015) ?

Swennen: Je l’ai achevé en ajoutant un extrait d’un vieux poème concret de Bob Cobbing. Le poème ajoute une touche sceptique. (Il produit un son h’m sceptique.) Le tableau m’a été offert par un ami. Je n’ai fait qu’ajouter la fine couche blanche et la grosse surface « grise », avec les bords cotonneux. Le « gris » était un mélange qui traînait. Tu sais comment ça va : à la recherche d’une couleur précise, tout en ajoutant cette couleur-ci et puis celle-là, on finit toujours par préparer trop de peinture qu’il ne faut réellement. C’est ainsi que j’ai connu plusieurs périodes bleues.

 

- Pour Ice Crown (2015), tu as versé un flocon bleu sur la toile. 

 

Swennen: Oui, je l’ai laissé sécher et le lendemain matin, j’ai effacé la peinture encore humide. La couronne est brillante parce que je l’ai couverte de vernis… Ce fantôme a été peint avec du blanc de plomb. D’abord, je l’ai appliqué sur une silhouette, découpée dans une feuille de plastique et puis j’ai pressé la feuille contre la toile. L’effet produit est imprévisible, mais tout était sous contrôle. (Rires.)

 

 

Montagne de Miel, 26 septembre 2015

 

Traduit par Michèle Deghilage