KUNSTENAARS / ARTISTS
_______________________________
Hans Theys
Hommage à l’artisanat
Sur l’œuvre de Joost Pauwaert
Gengis Khan
Du haut d’une chaire sculptée, sept théologiens me sourient avec une
apparente bienveillance. Si je suis capable de donner un fondement
théorique à l’œuvre de Joost Pauwaert ?
Tout le monde sait que les théories, au sens étriqué — visé ici — du mot, ne sont ni plus ni moins que les élucubrations d’agitateurs, des écrans de fumée censés brider nos peurs.1
D’après Joseph Brodsky, l’histoire est le pur produit de nombres et de quantités. Combien d’habitants y a-t-il ? De combien de réserves de nourriture dispose-t-on ? Quel est le degré de fraîcheur ou de chaleur ? Ce sont ces nombres qui déterminent ce qu’il se passe.2
Et peut-être aussi les délires d’une poignée d’individus : Alexandre, Mohammed, Gengis Khan, Napoléon.
Mohammed et Gengis Khan poursuivaient un même but : faire en sorte que les musulmans ou les tribus mongoles cessent de s’assaillir.
Ainsi, les tribus mongoles ont été progressivement réunifiées jusqu’à régner toutes ensemble sur un grand territoire s’étendant, en longitude, de l’Est de la Chine jusqu’à Budapest et, en latitude, de la Sibérie jusqu’à la Perse et la Crimée, soit du Nord de la Chine jusqu’à l’océan Pacifique.
Dans son introduction au Voyage de Marco Polo de Victor Chklovski, M.K. Kounine écrit que les conquêtes mongoles bénéficiaient du soutien logistique et financier de riches marchands qui avaient intérêt à voir naître un seul et grand empire, au sein duquel leurs caravanes pourraient voyager sans entraves et où ils pourraient « organiser une exploitation systématiques de larges couches de la population ».3 Les seigneurs voulaient prélever des impôts, les commerçants voulaient déplacer les matières premières bon marché pour les revendre ailleurs au centuple. (Dans la deuxième moitié du 3e siècle, une livre de soie s’échangeait contre une livre d’or
à Rome : la soie valait son poids en or.)
Le monde d’aujourd’hui n’a changé en rien. Presque toute l’énergie disponible est mobilisée pour apprivoiser et réduire les enfants à d’apathiques consommateurs, pour confectionner des aliments et des vêtements toujours moins chers et toujours plus insipides et pour créer du divertissement toujours plus creux. Les guerres offrent des débouchés
aux fabricants d’armes.
Du haut de leur chaire, les sept juges me toisent d’un air ennuyé.
« Et quel est le rapport avec Joost Pauwaert ? » me demandent-ils.
Les Mongols avaient coutume de piller et de raser de grandes villes et d’égorger tous les habitants. Les soldats étaient parfois épargnés et se voyaient incorporés à leur propre armée, pour copier leurs techniques et les utiliser comme bouclier humain. De même, lorsque deux des fils de Gengis Khan s’emparèrent en 1221, après un siège de sept mois, de la ville d’Ourgensk, les habitants furent tous massacrés, hormis les artisans. Pourquoi avoir épargné les artisans plutôt que les théologiens ?
Les Mongols laissaient tous les peuples pratiquer leur propre religion. Eux-mêmes étaient des païens. Les rares péchés qu’ils reconnaissaient étaient : « toucher la flamme avec un poignard, tirer la viande de la marmite à l’aide d’un coutelas, blesser le feu en agitant la hache, s’appuyer sur un fouet, frapper le cheval avec la bride, uriner dans une tente, cracher la nourriture, laver les vêtements, cueillir des cêpes ».4 Des consignes pratiques, donc, notamment pour éviter d’émousser les épées et les couteaux. En l’occurrence, les raffinements théologiques n’étaient d’aucune utilité.
Dans son poignant roman Le Voyage sentimental, dans lequel il enfile les bribes de sa vie sur une brochette, Victor Chklovski écrit : « Les gens qui connaissent leur métier sont toujours de bonnes personnes ».
À l’opposé de ces gens, il y a, selon lui, un traître : « Si Semjonov n’avait pas été un semi-intellectuel », écrit-il, « s’il avait compris son métier, il ne m’aurait pas dénoncé. Mais son âme contenait un vide à la Torricelli, ses mains n’avaient rien à faire et il était gauche en tout, il aurait amèrement regretté ne pas pouvoir faire de politique. »5 Et trente pages plus loin, il ajoute : « Mon arrestation était le fruit du hasard. Une invention de Semjonov, un homme sans artisanat.6
Napoléon Bonaparte
Pauwaert lit des livres sur Napoléon. Pourquoi ? Qui était Napoléon ?
Dans sa biographie détaillée de Napoléon, publiée en 1901, John Holland Rose décrit Napoléon comme un « master craftsman »7, c.-à-d. un maître artisan, qui, à l’instar de Jules César, était à la fois « visionnaire et pragmatique »8, capable de combiner des idéaux philosophiques avec un « practical statemanship »9 : le pragmatisme d’un homme d’État. C’était un « encyclopaedic genius », un génie encyclopédique, qui, en tant que général des armées, diplomate et homme politique, ne se perdait pas en « prophéties stratégiques »10, mais se vouait à une observation assidue des événements.
Entre 1789 et 1793, plusieurs commissions avaient tenté de moderniser le code français. Cela demeura un sac à nœuds. En 1793, Napoléon ordonna une nouvelle tentative. Quatre juristes travaillèrent pendant quatre mois sur un avant-projet, qu’ils simplifièrent, peaufinèrent et bichonnèrent au cours de 102 réunions, longues de huit à dix heures, dont plus de la moitié sous la présidence de Napoléon. Le résultat témoigne d’une grande habileté architecturale, écrit Holland Rose, où les innombrables interventions personnelles de Napoléon contribuèrent à la force, la simplicité et la symétrie des 2281 articles.
Au cours de l’hiver 1797-98, préalablement à la campagne en Égypte, Napoléon assiste aux cours de chimie de Berthollet.11 Durant la campagne, il s’entoure d’ingénieurs, de géologues, de géographes, d’archéologues et de peintres. Au cours d’une escale à Malte, il fonde une université. Il emporte également une bibliothèque, qui, outre des ouvrages historiques, des romans et de la poésie, compte aussi un exemplaire de la Bible, du Veda et du Coran.
Lorsque l’armée traverse les Alpes en 1800 et doit franchir un terrain impraticable de cinq milles avec son matériel roulant, décision est prise de détacher les canons de leur affût et de les loger dans des sapins évidés de façon à pouvoir les tirer dans la neige et à travers la montagne sans les endommager.12 L’idée ne vient pas de Napoléon, mais de deux compagnons, Marmont et Gassendi, qui, tout comme lui, ont le droit de penser hors du cadre. Passé les Alpes, ils ont affaire à une forteresse en surplomb, qui garde la frontière. La nuit tombée, ils décident de recouvrir de paille et de fumier les rues de la petite ville, située en contrebas, de sorte qu’une grande partie de l’armée puisse traverser l’endroit dans le silence. Et nous pourrions encore mentionner des centaines d’autres improvisations tactiques de ce genre. Ce qui importe, c’est que ces hommes étaient capables de penser en bricolant, dans le sens donné par Claude Lévi-Strauss à ce mot : l’usage impropre d’objets et de techniques en vue d’un résultat pratique.13
Victor Chklovski
Dans Voyage sentimental, Chklovski décrit comment il essaie de confectionner des grenades avec des « manchons de cylindre de fabrication allemande » qu’il supposait être des dispositifs de mise à feu :
« Ils présentaient certes une ouverture pour le cordon de mèche Bickford, mais celle-ci était beaucoup trop large, en fait. On pouvait y introduire le petit doigt et la fente était telle que l’on ne pouvait pas resserrer les bords.
Je demandai à mes hommes de me préparer un cordon de mèche avec le matériel d’une bombe à écran de fumée et prit ensuite position au bord d’un ravin pour réaliser un test.
Je commençai à glisser le cordon de mèche dans le cylindre, qui ressemblait à un plumier d’écolier ayant le diamètre d’une pièce de trois kopeks et une longueur d’environ quinze centimètres. Mais le cordon ne voulait pas rester coincé dans la fente, car il était trop fin.
J’enveloppai le cordon de papier. Je calculai une longueur de cordon censée durer deux secondes.
J’allumai une cigarette. On n’allume pas un cordon Bickford avec une allumette, mais bien avec une cigarette qui brûle. Tout dans les règles de l’art. »14
Au moment où la grenade explose dans sa main, parce que la mèche est trop courte, Chklovski repense à son livre Le sujet comme phénomène de style. « Qui, de nos jours, serait encore capable d’écrire ce livre ? » se demande-t-il. Pour Chklovski, le contenu d’une œuvre littéraire dérive de sa forme : oppositions, inversions, répétitions, ralentissements, agrandissements ou réductions systématiques. La façon dont on manie ces moyens (« priomes ») détermine le contenu de l’œuvre engendrée.
« L’anarchisme de la vie, son subconscient, le fait qu’un arbre sache le mieux comment il doit croître — c’est quelque chose qu’eux (les bolchéviques et les théologiens) sont incapables de comprendre », écrit-il.15 Il dit aussi, dans une remarque qui rappelle la théorie des nombres de Brodsky : « Tout ce que l’homme organise se situe hors de lui-même. Il est lui-même un plan d’intersection de forces. » 16 À propos des premiers bolchéviques, il écrit : “Bien sûr qu’à ce moment-là, ces forces ne s’exerçaient pas encore sur les événements. Les masses étaient entrées en mouvement, tels des bancs de harengs ou de gardons caspiens en train de frayer – elles ne faisaient plus que suivre leur instinct. » 17
« C’est à tort », écrit-il, « que nous croyons être tellement brillants et tellement prévoyants en politique. Si, au lieu de nous efforcer d’écrire l’histoire, nous nous contentions de nous considérer comme responsables des événements distincts dont l’histoire se compose, alors ce qui se passerait ne serait sans doute pas aussi grotesque. Il ne s’agit pas d’écrire l’histoire, mais de créer une biographie. »18
Chklovski n’était pas seulement un expert en explosifs, il s’y connaissait aussi en mécanique. Il explique quelque part comment la présence de sucre dans un réservoir d’essence grippe les cylindres et qu’il faut alors les nettoyer en soufflant. Ailleurs, il décrit le fonctionnement du « paradoxal » moteur Gnome, capable de continuer à tourner pendant quelque temps lorsqu’on avait inversé l’amenée de l’essence et celle de l’huile, et ce en raison de sa mauvaise conception. (De même, écrivit-il, la société bolchévique continuait à tourner malgré tout.)
« Au fond, la méthode formelle est simple. C’est un retour à l’artisanat. Le plus remarquable à cela est que cette méthode ne rejette pas le contenu à idées de l’art, mais qu’elle voit ce soi-disant contenu comme une manifestation de la forme. »19
« L’art se déploie par la logique de sa technique. (…) Hamlet est le produit de la technique dramatique. »20
Existe-t-il des hommes de métier qui bricolent ? Telle est la grande question.
« Je n’ai pas inventé la poudre à canon », écrit Chklovski. « Je suis souvent lent à comprendre, je suis également d’un autre ordre sémantique, je suis comme un samovar qu’on utilise comme un marteau pour enfoncer des clous. » 21
« En essence », écrit-il ailleurs, « l’art est de nature ironique et destructrice. L’art vitalise le monde. Il a pour tâche de créer des inégalités. Et il y parvient en confrontant des oppositions. »22
« J’étais très populaire auprès des soldats de ma division ; l’étroitesse de mes horizons politiques, mon désir incessant de tout régler sur-le-champ, ma tactique — pas ma stratégie — tout cela faisait que les soldats me comprenaient. »23
Que signifie utiliser un matériau ou une technique d’une façon impropre ? L’homme de métier improvise, écoute le matériau, exacerbe la technique, peaufine des instruments existants, crée de nouveaux matériaux, de nouveaux instruments, de nouvelles techniques. L’artisanat vit,
il se meut, il danse. Il pense entre les mains du tacticien, il meurt dans
la tête du stratège, du maître d’école et du ‘manager’.
Georg Lichtenberg
« Pour ce qui est de ses travaux de tricotage », écrit Georg Christoph Lichtenberg le 16 décembre 1797 à propos de sa fillette de quatre ans, Margarete, « elle s’en sortirait plutôt bien, à ce que j’entends. Une partie des travaux que j’ai pu voir surpasse, en tout cas, de loin les essais auxquels je me suis risqué dans cet art alors que j’avais dix ans. »24
« Voici ce qu’il m’arriva, un jour, avec une vessie de porc pourtant de très bonne qualité », écrit Lichtenberg le 1er décembre 1783, moins d’un an après le premier voyage en ballon réussi des frères Montgolfier. “Je l’avais plutôt bien gonflée, ma servante avait enfourné pas mal de bûches dans le poêle, ce qui, imperceptiblement, fit encore augmenter la pression de la vessie, de sorte qu’elle finit par exploser sous l’effet de la pression trop forte. (…) Tout l’art consiste à ne pas perdre patience. On gonfle la vessie et on l’a fait sécher, puis on la pèle une dernière fois avec des pincettes. Si vous vous approchez trop de la Tunica interna, il faut alors procéder d’une manière très anatomique et non plus tirer, mais enlever lentement la fine couche avec, à la fois, les pincettes et le couteau.” 25
Lichtenberg était physicien. Il estimait qu’il fallait remettre en question tout ce que nous acceptions pour vrai. Il était curieux. Il expérimentait. Ainsi, il écrira une lettre à Goethe sur la coloration différente des ombres qu’il a observées. (Dans le débat entre Goethe et Newton, il prend position pour Newton. Ce n’est qu’à la fin du 20e siècle, que nous avons pu prouver que Goethe avait en partie raison, à savoir qu’au cours de leur observation, les couleurs agissent, effectivement, les unes sur les autres.)
Un jour, Lichtenberg se fit attacher au mât d’un bateau afin de pouvoir observer une tempête au plus près. Dans une lettre, il dessinera une esquisse qui rappelle la vague d’Hokusai.
Dans une de ses lettres les plus célèbres, il décrit une rue animée de Londres au 18e siècle. Il est le seul à avoir fait cela. Ailleurs, il décrit ce qu’il entend par une belle soirée printanière :
1) le murmure de l’eau près du grand moulin
2) des charrettes et des carrosses qui passent
3) les cris vifs et exaltés d’enfants sans doute en train d’essayer
d’attraper des hannetons sur les murs de la ville
4) des aboiements à distances variables, avec des voix trahissant
des humeurs diverses
5) trois ou quatre rossignols dans les jardins avoisinants ou en ville
6) d’innombrables grenouilles
7) le bruit sec de quilles renversées
8) le son discordant d’un cor, le bruit le moins agréable de tous26
Lichtenberg était un contemporain de Kant, de la Révolution française et du tueur pragmatique qu’était Napoléon. Il enseignait la physique
à l’université. À la maison, il rêvait et réfléchissait. Il nota des milliers d’observations, dont certaines ont été reprises par Wittgenstein, Freud27
et Nietzsche.
À propos de la Révolution française, il écrit : « Cela fermente en France, mais nous ignorons si cela tournera en vin ou au vinaigre. » Sur lui-même, il écrit qu’il serait certainement incapable de gouverner un pays, car il n’arrive même pas à maintenir son bureau en ordre.
Beaucoup de pensées convergent ici. Car ses remarques impliquent que l’histoire n’est pas façonnée par l’homme, mais qu’elle se façonne elle-même.28 En règle générale, il croit que l’homme est instinctivement poussé à chercher une signification à tout,29 car cela permet à la mémoire de retenir les choses. Il n’existe pas de « véritable signification » en dehors de notre mode de connaissance. Ainsi, il fait plus qu’imiter la pensée de Kant, dans la mesure où il applique cette pensée d’une façon systématique à tout ce qui se présente à ses yeux.
À plusieurs endroits, il décrit notre propre pensée comme une chose qui se déroule en nous sans aucune décision de notre part. Ça pense (en nous), tout comme il pleut ou il tonne.30 Il n’y a pas de sujet. Le mot « je », écrit-il, est une chose pratique mais superflue. Nietzsche reprendra plus tard cette idée, en postulant que notre illusion d’un « je » agissant provient de notre usage de pronoms personnels.
« Un instrument », écrit Chklovski dans Zoo, « ne prolonge pas seulement notre corps, il se prolonge également en nous. »31
Notre façon d’observer et d’agencer nous porte chaque fois à croire qu’un principe agençant et signifiant est présent dans le monde. Sans avoir conscience que tout ordre « perçu » provient de notre façon d’observer et de retenir. Sans avoir conscience que notre cerveau « pense »
des choses par nécessité biologique.32
Souvent, Lichtenberg indique qu’un changement social vraiment efficace ne peut que s’opérer lentement.33 Certes, il se réjouit du désir de changement en France, mais il entrevoit immédiatement les dangers d’un « nouvel » ordre imposé soudainement (qui conduira très vite à une terreur arbitraire et plus tard, après la mort de Lichtenberg, au pouvoir absolu de Napoléon). « La France libre », écrit-il, « où, de nos jours, on peut faire pendre n’importe qui. »34
L’ordre que nous démêlons autour de nous provient de nous-mêmes. Nous ne connaissons rien avec certitude. Notre premier devoir consiste à remettre en question nos convictions. Lire des livres trop tôt ou lire trop de livres est nuisible, car cela encombre notre esprit de mythes et de catégories qui nous empêchent de voir, d’entendre, d’éprouver.35
L’enseignement aussi est nuisible. Nous sommes inondés d’un pseudosavoir à la mode qui nous empêche de réfléchir par nous-mêmes, qui nous empêche d’être aussi libres que les Grecs, qui, sans avoir beaucoup lu, ont fait des découvertes stupéfiantes. Les Grecs n’apprenaient pas les langues mortes, dit-il.36
Les livres et les écoles ont transformé les humains en animaux domestiques37 qui ne sont plus capables de penser par eux-mêmes. Le premier conseil qu’il s’adresse à lui-même est de se soustraire à son époque. Nous devons nous libérer le plus possible de toutes les fausses vérités et les théories communément acceptées. Lichtenberg est parmi les premiers (si pas le premier) à utiliser le mot « paradigme » pour désigner les formes de pensée qui façonnent et cadrent notre perception, mais qui les figent et les obstruent aussi.38 Gombrovicz reprendra plus tard la même idée (et plaidera pour l’immaturité). Quant au philosophe des sciences Thomas Kuhn, il écrira, deux-cent-cinquante ans plus tard, que le passage d’un paradigme à un autre s’opère inconsciemment et parfois même durant le sommeil du scientifique.39
Cela aussi, Lichtenberg l’avait prédit, tout en précisant que dans notre sommeil, nous pensons plus librement qu’à l’état de veille. Sans doute notre cerveau est-il incapable de faire du rangement lorsqu’il travaille, écrit-il. Et, effectivement, bon nombre de nouvelles idées proviennent de modèles parallèles que notre cerveau range la nuit, lors du nettoyage, dans les mêmes circuits neuronaux. Par erreur, donc. Par une nécessité biologique d’économie et d’épuration. Et cela semble du coup logique que le cerveau soit incapable de le faire quand nous sommes éveillés, parce que nous avons besoin de nos paradigmes pour survivre (pour voir le danger, pour trouver de la nourriture comestible, pour choisir le bon partenaire). Le sommeil, selon les connaissances actuelles, est indispensable à la plasticité cérébrale.
L’ingéniosité miraculeuse de Lichtenberg semble découler de son impuissance en tant que physicien. Il suit de près toutes les sciences, mais ne parvient pas à réaliser une seule découverte majeure en physique. Il décrit exactement ce qui manque pour cela : la découverte d’une analogie entre deux phénomènes en apparence différents. (Les lois naturelles sont des comparaisons, qui constatent l’équivalence entre deux forces « différentes », par exemple la masse et l’énergie.)
« Combien d’idées ne vagabondent pas en ordre dispersé dans ma tête, lesquelles donneraient lieu aux plus importantes découvertes si elles étaient connectées entre elles », écrit Lichtenberg. « Mais elles sont séparées les unes des autres comme le soufre, le salpêtre et le charbon qui, une fois réunis, constitueraient de la poudre à canon. »40
« Si nous pouvions seulement faire des découvertes en suivant certaines règles », soupire-t-il. « Il est clair que les découvertes découlent d’une sorte de hasard, même si elles semblent être la conséquence d’un gros effort (…), mais à l’instar des pulsations de notre cœur, les principaux bonds
de la découverte sont loin d’être le fruit de notre volonté. »41
Du haut de la chaire, les sept théologiens me fixent d’un air irrité.
« Mais quel rapport tout cela a-t-il avec Joost Pauwaert ? », demande
le premier.
« Oui, et quel est le rapport entre votre propos et l’art ? » enchérit
le second.
« Et où est passée la théorie dans tout cela ? » demande le troisième.
Leurs collègues confirment la pertinence de ces questions en opinant de la tête. Leurs barbes grises figées oscillent de haut en bas, telles des queues d’oiseaux sautillant en quête de nourriture.
« Nous avons besoin de croire que toutes les choses ont une cause, tout comme il semble que l’araignée tisse sa toile pour piéger des mouches, » écrit Lichtenberg. « Mais l’araignée le fait avant de savoir que les mouches existent. »42
« Hamlet », écrit Chklovski, « découle de la technique dramatique. »43
Est-ce possible ? Un artiste saurait-il tisser une toile, tisser une texture, fabriquer un objet, accomplir une action, sans savoir quel contenu peut naître de cette forme, sans savoir quelle signification des cerveaux investigateurs donneront plus tard à cette action (ou le fruit de celle-ci) ? Sommes-nous capables de penser aveuglément ? Et sommes-nous bien
en droit de qualifier la fabrication d’objets, le bricolage avec des matériaux et des techniques, ce jeu aveugle avec des images, des mots et des idées, de formes de pensée ? Existe-t-il une pensée de l’action ? Et peut-elle être aveugle, comme l’araignée qui tisse sa première toile ?
En d’autres mots : avons-nous besoin d’une théorie avant de nous lancer dans une quelconque activité ? Comme nos partis politiques et nos théoriciens de l’art, qui savent déjà tout par avance ? Mais qu’est-ce qu’une théorie ? D’abord, il y a le paradigme, la forme qui prescrit un certain comportement, une certaine façon de penser. Et puis, il y a l’hypothèse. Mais est-ce que les expérimentations ne viennent pas d’abord ?
Et ensuite seulement la théorie, qui cherche une explication aux résultats ? Et, au final, le but ne consiste-t-il pas à casser le paradigme pour en trouver un autre ? Pour élargir notre vision ? Pour trouver une nouvelle idée ? Une expérience plus riche ?
« Les grands de ce monde », conclut Lichtenberg, « se doivent de faire l’éloge public non seulement des héros ou de l’homme qui, dans un élan poétique, improvise une ode, mais aussi du juge droit et sévère, de l’avocat compétent et consciencieux, de l’artisan inventif et infatigable. »44
« J’ai perçu quelque chose qui a souvent été confirmé », écrit-il ailleurs : « les savants les plus sagaces pratiquent souvent un art. Ou bien ils bidouillent. »45
Joseph Brodsky
D’après Brodsky, qui fut ouvrier d’usine, il est insensé d’étudier l’histoire comme instrument pour l’avenir, car les événements mondiaux se comportent d’une manière imprévisible, comme dans un jeu du hasard. (Et parce qu’il est fort probable que l’on répète justement l’histoire parce qu’on la connaît, tout comme Napoléon voulait conquérir l’Égypte pour pouvoir ensuite continuer vers l’Inde, parce qu’il voulait égaler Alexandre le Grand.) En revanche, on peut fureter dans le passé afin de s’imprégner de l’imprévisibilité des événements mondiaux.
D’après Gombrovicz, Hitler était propulsé en avant et vers le haut par une Forme que le peuple projetait sur lui. Sa suffisance et son caractère haineux et paranoïde s’y prêtaient bien. Et Napoléon, alors ? N’a-t-il pas remodelé l’histoire de ses propres mains ? Si l’on examine, en toute neutralité, sa soif de conquêtes, on remarquera qu’il s’agit, à chaque fois, des mêmes mouvements. Grecs, Romains, Carthaginois, Russes, Maures, Vénitiens, Génois, Français ou Allemands ; à chaque fois, ils doivent reprendre les armes pour assiéger ou défendre la Sardaigne, Chypre, Gibraltar ou la Crimée, autrement dit de petites îles et côtes qui rendent le contrôle de la Méditerranée possible.
Et de nos jours encore, un despote russe remet cela, comme s’il y avait encore du blé et des amphores remplies d’huile d’olive à transporter par bateau de l’Afrique du Nord vers Rome. Qui examine sur une carte du monde l’étendue de la Russie se demande quelles peuvent bien être les intentions l’armée russe en Crimée ou en Ukraine, si ce n’est réagir, en réalité, aux provocations de la machine de guerre américaine, qui est à la solde des mêmes marchands qui financèrent Gengis Khan. Il y a donc peu de nouvelles idées à glaner en l’occurrence. Et encore moins de théories pour fonder une action.
Ce que l’on nomme aujourd’hui la « théorie », pour tout ce qui a trait
à l’art contemporain, est une jolie collection de pseudo-idées bien ficelées, mais rarement voire nullement mises à l’épreuve, au sujet d’un terrain de recherche impossible à délimiter. Personne ne sait déterminer avec précision ce qu’est « l’art ». Pourquoi ? Parce que sa caractéristique principale est de se renouveler sans arrêt. Il n’y a pas de limites. Il n’existe pas de règles indispensables. Il n’y a que déni, rupture d’avec ou dépassement des règles. Mais comment, alors ? En partant de la pratique. En partant de l’action. En partant d’une pensée de l’action.
Pas tellement chez l’intellectuel et meurtrier Lénine, qui pensait également avoir besoin d’une théorie. « Lénine a lu Marx non par nécessité », écrit Brodsky (car qu’est-ce que la Russie rurale avait en commun avec Londres et l’Angleterre industrielle ?), « mais en raison d’un complexe d’infériorité, en raison de son provincialisme. » 46
Seuls les provinciaux ont besoin d’une théorie. Et seuls les citadins.
Et seuls les gens qui sont gauches de leurs deux mains. Est provincial le désir d’être universel. Tout comme les œuvres « universelles » naissent toujours d’un intérêt pour la spécificité et la réalité locale (Shakespeare qui voulait faire un théâtre passionnant, Homère, Colette, Satie, Warhol, Dylan, Toni Morrison, Nina Simone, Eva Hesse, Morandi, etc.).
Si nous ne lisions pas autant et si nous n’avions pas été bousillés par des enseignants qui nous ont fait croire que tout se sait déjà (tout en nous inculquant des âneries), nous pourrions être des Grecs, écrit Lichtenberg, et nous pourrions regarder et penser sans préjugés, comme les anciens.
Sans doute n’avait-il pas encore connaissance des Védas et autres écrits orientaux, contrairement à son admirateur Schopenhauer qui, lui, n’a pas manqué de les adopter.
Pour Brodsky, un poème est l’endroit où la pensée occidentale cartésienne rencontre la pensée orientale synthétique et intuitive et où elles se fondent l’une dans l’autre.
La liaison n’est autre que la Russie, bien sûr, c.-à-d. la route de la soie, qui s’étend d’est en ouest et inversement. Au point que Brodsky préfère appeler l’Europe de l’Est l’Asie de l’Ouest. La Russie de l’Ukrainien Gogol, l’histoire russe avec sa prédilection littéraire toute particulière pour le son (Pouchkine), la texture (Chlovski), la forme (Nabokov), l’incongruence (Tarkovski).
« La première façon d’appréhender », écrit Brodsky, « donne la priorité au rationnel, à l’analyse. En termes sociaux, cela va de pair avec la confirmation de soi… (…) La deuxième façon d’appréhender repose essentiellement sur la synthèse intuitive, elle requiert de l’abnégation et est le mieux représentée par Bouddha . En d’autres mots, un poème vous offre un échantillon d’intelligence complète, non déformée. » 47
Et c’est parce que Lichtenberg ne connaissait pas la philosophie orientale qu’il n’a pas vu que les présocratiques, avec « l’obscur » Héraclite en tête, étaient en réalité des philosophes orientaux. (C’est moi qui le dis, et non Brodsky.).
« Qu’on le croie ou non », écrit encore Brodsky, « le but de l’évolution est la beauté, qui survit à tout et qui engendre la vérité en unissant le spirituel et le sensoriel. »48 Et ailleurs, il déclare : « L’art montre à l’humain qui il peut être. »49
Virginia Woolf
Il n’a pas encore été question de femmes ici, hélas. Je pourrais écrire sur Karen Blixen (Isak Dinesen) ou sur Condition de l’homme moderne de Hannah Arendt (l’« autorévélation de l’agissant ») ou sur beaucoup d’autres femmes qui ont bouleversé mon univers, mais je préfère m’arrêter sur
le moment où l’un des plus grands écrivains de tous les temps formule
ses premières intentions sur son futur chef-d’œuvre, To the Lighthouse, qu’elle mettra deux ans à écrire :
« Dans les quinze jours à venir, j’envisage d’écrire une nouvelle et une recension ; je me sens en effet poussée par le désir superstitieux50 d’attaquer To the Lighthouse le premier jour où nous serons à Monk’s House.
Je pense pouvoir boucler la nouvelle au terme des deux mois où nous
y résiderons. (…) Je crois, par ailleurs, qu’une fois entamée, je saurai,
de diverses manières, l’enrichir ; l’épaissir, la doter de ramifications et
de racines, dont je ne puis actuellement me faire aucune représentation. (…)
Un tel nouveau problème51 forme un terrain vague dans votre esprit ; il
vous dévie du sentier battu. »52
L’art peut-il être autre chose que le déplacement de frontières, à partir d’un artisanat, moyennant un usage (à ce moment-là) impropre de cet artisanat-là ? Peut-il être autre chose qu’un problème ? Comment quelque chose peut-il constituer de l’art s’il ne pose pas de problèmes ? Qui a envie de sortir de son lit pour s’attaquer à un problème qui a déjà été résolu ?
Conclusion
Les sept théologiens me toisent tout en opinant de la tête et en regardant leur élégante montre. Soudain, je vois qu’ils ne portent pas de vraies barbes, mais des postiches. Ce sont de jeunes fanfarons érudits qui me toisent à distance, confortés par leur faux savoir superficiel amassé à la va-vite.
« Et quel est le rapport de tout cela avec Joost Pauwaert ? » demande l’un d’entre eux. Je vois qu’elle a un tatouage dans la nuque. Elle est branchée et à la page. « Oui ! » s’exclament les autres, « quel est le rapport avec Pauwaert ? »
« Que Pauwaert est doté de deux bras et de deux mains », rétorqué-je, « d’une tête sur les épaules, d’un cœur dans la poitrine et d’une âme qui relie le tout. Mais comme cela ne signifie rien pour vous si je ne cite pas d’autorité, je vais, une fois encore, ressusciter Lichtenberg. »
« Si quelqu’un de ce monde voulait, un jour, se faire tatouer une devise », écrit-il, « avec une aiguille ou de la poudre à canon, alors je lui proposerais une phrase que j’ai lue dans je ne sais plus quel article du Spectator : “the whole man must move together”, c.-à-d. l’homme entier doit bouger ensemble. Il arrive beaucoup trop souvent que ce ne soit pas le
cas et le préjudice qui en découle est grave et souvent irréparable. Pour moi, l’humain comprend une tête, un cœur, une bouche et des mains.
Il faut faire preuve d’une parfaite habileté pour maintenir son corps ensemble par tous temps, jusqu’à la fin, lorsque tout mouvement cesse. »53
« Pauwaert », dis-je aux prêcheurs, « évolue au-delà des catégories reconnues. Il fait, façonne, sent et pense. Et il nous lègue des objets que nous pouvons regarder. Il nous laisse regarder, sentir, penser avec lui. Il ne peut que faire du bon travail, car il fait du bon travail. Il lit et regarde, raconte des histoires, scie, forge, soude, coule du bronze, essaie, expérimente, échoue, agit, sent. Et au travers de tout cela, sa pensée se manifeste, laquelle ne se déploie pas en dehors de cette activité, mais à l’intérieur et dans les entrelacs, sans qu’elle n’obéisse à un paradigme connu, sans qu’elle s’appuie sur une théorie immobile et sans même suivre une hypothèse bien précise. »
« D’où vient votre besoin de théories, honorables théologiens ? D’où vient votre besoin de signification, de direction et de sens ? Pourquoi l’histoire doit-elle avoir un but ? Pourquoi une œuvre d’art doit-elle avoir une signification ? Pourquoi ne peut-elle pas simplement signifier quelque chose pour vous, comme un arbre ? Connaissez-vous un arbre qui signifie quelque chose pour vous ? Pourquoi redoutez-vous la cécité de l’évolution ? Sachant qu’elle a conduit aux plus beaux animaux et aux plus belles plantes ? Les yeux bandés ! Parce que, sinon, vous ressentiriez votre propre nullité comme quelque chose de mouillé sous vos pieds ? Et pourquoi avez-vous besoin de significations, d’explications et d’interprétations ? Parce que, en définitive, vous n’arrivez pas à saisir comment vous pouvez être responsable dans un monde totalement indifférent et dans lequel la vérité la plus profonde sera toujours préhumaine, parce que pour la nature, nous ne sommes rien d’autre que de nouveau-nés, ne pesant pas
plus lourd que l’insecte sur votre nez ? »
« Un poète qui est perdu pour la société », écrit Brodsky, « est comme une cellule de cerveau pétée. »54 Sans artistes, pas de pensée. Sans Pauwaert, pas de civilisation, pas de compréhension, pas de poésie, pas d’émerveillement, pas de plaisir, pas de rire, pas de liberté d’esprit, pas
de rêve de liberté, pas de vie décente.
Et nous n’avons pas besoin de théories pour cela. « Les académiciens avec leurs querelles idéologiques », déclare Brodsky, « doivent rester en dehors de tout cela. Car, en la matière, personne n’a le pouvoir de prescrire sur d’autres fondements que ceux du goût. La Beauté et la vérité correspondante ne peuvent être subordonnées à un quelconque système philosophique, politique ou même moral, car l’esthétique est la mère de l’éthique et non l’inverse. »55
Et celui qui ne le sent pas, peut encore l’apprendre.
Montagne de Miel, 5 février 2023
Notes :
1 Surtout depuis que Paul Feyerabend a démontré à l’aide de nombreux exemples que même les théories scientifiques ne peuvent être « prouvées » par des éléments concluants et que les scientifiques (y compris les théoriciens de la physique) se basent le plus souvent sur des données concrètes (des choses, non des « faits »), qu’ils étudient en les manipulant. Pour ce faire, jamais ils n’appliquent de méthode fixe, mais ils travaillent avec des hypothèses ad hoc qui changent constamment. En effet, il est faux de croire que, d’abord, nous avons une idée et qu’ensuite, nous agissons. « La création d’une chose et la création, ainsi que la compréhension totale d’une idée juste à propos d’une chose sont très souvent des composantes d’un seul et même processus indivisible, lesquelles ne peuvent être scindées sans mettre le processus à l’arrêt. Le processus même n’est pas commandé par un programme clairement délimité et ne peut être commandé par un tel programme (…). Il est davantage mû par une pulsion vague, par une “passion” (Kierkegaard). » (Paul Feyerabend,
Tegen de methode, Lemniscaat, Rotterdam, 2002, p. 55) « Nous sommes actuellement arrivés à une situation où les théories sociales et psychologiques sur la pensée et l’action humaines se sont substituées à cette pensée et à cette action mêmes. » (ibid. 275) « Il est clair que l’image d’une méthode établie, ou d’une théorie établie sur la rationalité, repose sur une vision trop naïve de l’humain et de son milieu social. (…) Il en ressort clairement qu’il n’existe qu’un seul principe qui puisse être défendu en toutes circonstances et durant toutes les phases du développement humain. Tel est le principe : anything goes, toute approche doit être possible. (ibid : 57) “Von Weizsäcker m’a montré que la mécanique quantique était née de travaux de recherche concrets. (…) Qui cherche à résoudre un problème, que ce soit dans le domaine des sciences ou ailleurs, doit pouvoir jouir d’une liberté totale. (ibid : 275) ‘Tenter de percer les limites d’une donnée conceptuelle fait partie intégrante de ce type de recherche (et devrait également constituer un pan intéressant d’une vie passionnante).’ (ibid : 183) Des scientifiques de renom, comme Ludwig Wittgenstein et Karl Popper, mais aussi l’homme de théâtre Bertold Brecht, ont proposé un poste d’assistant à Feyerabend. Ce dernier avait étudié l’histoire, les mathématiques et la physique, non sans avoir commencé par apprendre le théâtre et le chant. Dans sa jeunesse, il a donc chanté et écrit des pièces de théâtre.
2 Je ne retrouve plus le passage en question.
3 Victor Chklovski, Le voyage de Marco Polo, Payot, Paris, 1938, p. 22
4 cf. Ibid : 59
5 Victor Sjklovski, Sentimentele reis, Uitgeverij de Arbeiderspers, Amsterdam, 1980, p. 298. Traduction française du néerlandais.
6 Ibid : 330 (mes italiques)
7 John Holland Rose, The Life of Napoleon I,
G. Bell and Sons, Londres, 1919, p. 271
8 Ibid : 177
9 Ibid : 301
10 Ibid : 245 (« no strategic soothsaying, only
a close watching of events »)
11 Ibid : 182
12 cf. « La traversée fut éprouvante. Les mulets n’arrivaient pas à porter l’artillerie de montagne. Ce sont les Assyriens qui se sont chargés de la transporter de l’autre côté de la montagne sur leurs épaules. » (traduction du néerlandais) Victor Chklovski, Sentimentele reis, Uitgeverij de Arbeiderspers, Amsterdam, 1980, p. 103
13 cf. Claude Lévi-Strauss, La pensée sauvage, Plon, Paris, 1962, p. 29-33
14 Victor Sjklovski, Sentimentele reis, Uitgeverij de Arbeiderspers, Amsterdam, 1980, p. 264-265
15 Ibid : 231
16 Ibid.
17 Ibid: 17
18 Ibid : 126
19 Ibid: 283
20 Ibid: 285
21 Ibid: 202
22 Ibid: 284. Chklovski fait une distinction entre l’ironie hautaine des intellectuels et l’ironie comme une rencontre aveugle de deux systèmes sémantiques. (ibid: 110, 15) « Ce qu’il nous faut, ce n’est pas de l’ironie, mais des mains libres. » (ibid: 327)
23 Ibid : 166 (mes italiques)
24 Georg Christoph Lichtenberg, Gekleurde schaduwen. Brieven 1770-1799, Uitgeverij De Arbeiderspers, Amsterdam-Anvers, p. 235. cf. Georg Christoph Lichtenberg. Schriften und Briefe. Vierter Band. Briefe, Carl Hauser Verlag, Munich, 1968, p. 974
25 Ibid : 149-150. cf. Georg Christoph Lichtenberg. Schriften und Briefe. Vierter Band. Briefe, Carl Hauser Verlag, Munich, 1968, p. 540
26 Georg Christoph Lichtenberg. Schriften und Briefe. Erster Band. Sudelbücher, Carl Hauser Verlag, Munich, 1968, p. 794 (J 1004)
27 « Les rêves peuvent être utiles, car, sans la contrainte de la raison souvent pédante, ils représentent la somme sans préjugés de notre être tout entier. Cette pensée mérite d’être prise en considération. » Ibid : 663 (J 72)
28 cf. « Les grands événements du monde ne sont pas produits, ils se produisent. » Georg Christoph Lichtenberg. Schriften und Briefe. Zweiter Band. Sudelbücher II, Carl Hauser Verlag, Munich, 1968, p. 429 (K 170)
29 « Pour pouvoir incorporer quelque chose dans notre mémoire, nous nous efforçons toujours d’y associer un sens ou une sorte d’agencement. » Georg Christoph Lichtenberg. Schriften und Briefe. Erster Band. Sudelbücher, Carl Hauser Verlag, Munich, 1968, p. 710 (J 392)
30 « Es denkt, sollte man sagen, so wie man sagt: es blitzt. Zu sagen cogito, ist schon zu viel, so bald man es durch Ich denke übersetzt. Das Ich anzunehmen, zu postulieren, ist praktisches Bedürfnis. » Georg Christoph Lichtenberg. Schriften und Briefe. Zweiter Band. Sudelbücher II, Carl Hauser Verlag, Munich, 1968, p. 412 (K 76). Voir aussi Ibid : 501 (L806)
31 Victor Chklovski, ZOO, L’Esprit des Péninsules, Paris, 1998, p. 23
32 Comment pouvons-nous apprendre à ne voir que le meilleur en tout, à s’imaginer quelque chose de bien en tout, à toujours espérer et à rarement appréhender ? Notre espèce a survécu à l’évolution parce qu’en tant qu’individus, nous avons une bonne mémoire de ce qui est venimeux, vénéneux et dangereux. Ibid : 404 (K 43).
33 « Ériger une république avec les matériaux d’une monarchie renversée n’est pas simple. Cela est même impossible, car chaque pierre est taillée différemment, et il faut du temps pour cela. »
Ibid : 429 (K167)
34 Georg Christoph Lichtenberg. Schriften und Briefe. Erster Band. Sudelbücher, Carl Hauser Verlag, Munich, 1968, p. 784 (J 935)
35 Lire trop ou trop tôt a pour effet que notre mémoire refoule ou domine notre sensibilité et notre goût. cf. Ibid : 114 (B 264)
36 L 76, p. 135 cf. Paul Feyerabend, Tegen de methode, Lemniscaat, Rotterdam, 2002, p. 197 et 208
37 cf. « L’homme a fait de lui-même un animal domestique, c’est pourquoi il est si corrompu. » Ibid: 220 (C 341)
38 cf. Georg Christoph Lichtenberg. Schriften und Briefe. Zweiter Band. Sudelbücher II, Carl Hauser Verlag, München, 1968, p. 455 (K 313, K 314)
39 Thomas S. Kuhn, De structuur van wetenschappelijke revoluties, Boom Meppel, Amsterdam, p. 106
40 Georg Christoph Lichtenberg. Schriften und Briefe. Zweiter Band. Sudelbücher II, Carl Hauser Verlag, München, 1968, p. 453 (K 308)
41 Ibid: 501 (L 806)
42 Ibid: 181 (H 25)
43 Victor Sjklovski, Sentimentele reis, Uitgeverij de Arbeiderspers, Amsterdam, 1980, p. 285. Lichtenberg écrit quelque part qu’Hamlet est issu d’une idée. Auraient-ils tous les deux raison ? La forme et l’idée naîtraient-elles en même temps ? Pour Borges, le génie de Hamlet consiste à représenter une pièce de théâtre dans la pièce de théâtre, tout comme la modernité de Don Quichotte découle de la deuxième partie, où Don Quichotte rencontre des lecteurs qui ont déjà lu la première partie et qui (tout comme Sancho Panza) discutent avec lui des vraies circonstances de certains événements. (Ce que nous apprenons de ces deux livres, c’est que nous sommes nous-mêmes les personnages d’une histoire que nous ne cernons pas.) La profondeur de l’œuvre découle, dans les deux cas, d’un artifice technique.
44 « dem sinnreichen und emsigen Handwerker » Georg Christoph Lichtenberg. Schriften und Briefe. Erster Band. Sudelbücher, Carl Hauser Verlag, Munich, 1968, p. 232 (D20) (mes italiques)
45 « … die nebenher sich mit einer Kunst beschäftigen oder wie man im Plattdeutschen sagt klütern. » Ibid: 268 (D 229). Jean François Billeter traduit cet extrait en français comme suit : « … ceux qui pratiquent aussi un art ou bricolent ». Jean François Billeter, Lichtenberg, Éditions Allia, Paris, 2014, p. 40
46 Joseph Brodsky, On Grief and Reason, Penguin Books, Londen, 1995, p. 112
47 Ibid: 178. Voir également p. 107 : « Un des épisodes les plus tristes de notre civilisation fut la confrontation entre le polythéisme gréco-romain et le monothéisme chrétien, avec l’issue que l’on connaît. Cette confrontation n’était pas nécessaire ni intellectuellement, ni spirituellement. Notre aptitude métaphysique est suffisamment robuste pour supporter la convergence, voire la fusion, de ces systèmes de croyance. (…) Était-il vraiment nécessaire de jeter par-dessus bord tant de fruits intellectuels d’avant Jésus-Christ ? »
48 Ibid : 179
49 « If art teaches men anything, it is to become like art : not like other men. » / « Si l’art enseigne quelque chose à l’homme, c’est de devenir comme l’art : non comme d’autres hommes. » Joseph Brodsky, Less than One, New York, Farrar, Strauss and Giroux, 1986, p. 273. Voir également : « A poem, as it were, tells its reader: Be like me ». / « En fait, un poème dit à son lecteur : sois comme moi ». Joseph Brodsky, On Grief and Reason, Penguin Books, Londres, 1995, p. 178
50 cf. la « pulsion vague » de Feyerabend. cf. Paul Feyerabend, Tegen de methode, Lemniscaat, Rotterdam, 2002, p. 55. Voir plus haut à la note 1
51 Comparez avec Feyerabend : « Quelqu’un qui cherche à résoudre un problème » (ibid : 275), voir plus haut à la note 1.
52 Virginia Woolf, A Writers Diary, Triad Panther, 1978, p. 84-85. (mes italiques)
53 « … mit hülfe von Nadelstichen und Schießpulver… », Georg Christoph Lichtenberg. Schriften und Briefe. Erster Band. Sudelbücher, Carl Hauser Verlag, Munich, 1968, p. 259 (D 195)
54 Joseph Brodsky, On Grief and Reason, Penguin Books, Londres, 1995, p. 181
55 Ibid : 179-180