ESSAYS, INTERVIEWS & REVIEWS
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Hans Theys
D'une expérience à l'autre
Quelques mots sur les tableaux de Bernard Gilbert
Chaque tableau de Bernard Gilbert (°1970) est le fruit d'une tentative renouvelée de créer un espace pictural. J'appelle espace pictural l'illusion de profondeur obtenue par la juxtaposition de (traces ou éléments de) plusieurs couches de peinture qui par leur forme, couleur ou texture semblent se situer sur des plans différents, comme des coulisses de théâtre. Nombreux sont les peintres qui tente de créer des tableaux ainsi, c’est à dire sans ce soucier d’un contenu quelconque, si ce n’est la volonté de dire quelque chose sur la peinture et le fait de peindre ou d’être un peintre. Une des plus grande joie dans la contemplation de peintures provient justement du fait qu’il y a autant de gens qui s’en occupent et qui chacun ou chacune trouve des nouvelles solutions, des nouvelles formules, des nouveaux tableaux : on se voit confronté à une infinie variation, toujours surprenante, jouissive et libératrice. Et chaque nouveau tableau nous lance le défi de découvrir en quoi il diffère de tous les autres tableaux qui existe et comment il parle avec eux.
En quoi consiste la spécificité de l’œuvre de Bernard Gilbert ? Les parties qui sautent aux yeux directement sont celles qui semblent être fait en sérigraphie. Cela est du au fait que les tableaux sont fait sur des toiles de polyester ayant une surface rugueuse sur laquelle la peinture acrylique est appliqué avec une racle en métal. Ces jours-ci les toiles sont aussi tendues sur un support en bois qui porte des traces de colle librement appliquée avec des grandes brosses. En transperçant, ces traces rajoutent des effets imprévisibles dans la surface du tableau et trouvent une réponse dans une variété de traces différentes, comme celles, par exemple, créées aux bords de certains passages avec un racle. Aussi, certains tableaux sont préparés en appliquant immédiatement de l’acrylique transparent sur la toile. Plus tard ces traces deviendront visibles. Souvent le peintre utilise le masking tape pour couvrir certaines parties du tableau avant d’ajouter une nouvelle couche. Parfois ce masking tape suit les bords ondulants des larges coups de pinceau avec lesquels a été ajouté la couche d’acrylique transparente du début. Ci et là nous voyons des effets de givre, qui proviennent du fait que la peinture acrylique accroche mal à la couche de finissage en PVC couvrant les toiles en polyester. Parfois on voit des effets crées en peignant à travers une tamise ou un pochoir. Parfois on voit des effets de dégradé crées à l’aide d’un airbrush, parfois on voit un travail de glacis, appliqué au pinceau, ressemblant à un effet d’airbrush. Parfois on voit des effets de gouttes, créés en nébulisant de l’eau sur des fines couches de peinture.
Chaque tableau offre le spectacle d’une nouvelle expérience, d’un nouvel espace pictural créé par le contraste entre plusieurs interventions. Parfois ce contraste provient d’une différence de texture, parfois d’un jeu avec la perspective (la fausse perspective des poutres noirs et jaunes), parfois d’un jeu de formes, parfois de la rencontre surprenante de certaines couleurs. Dans un tableau, par exemple, les couleurs créent l’impression qu’il s’agit de deux tableaux différents qui se sont rencontrés. Dans d’autres tableaux les différentes couleurs et textures créent l’illusion que la couche du fond devient une figure qui flotte devant le tableau. Souvent le peintre cherche une intensité à travers les couleurs, non seulement à cause des contrastes, mais aussi en utilisant des encres très pigmentés ou des mélanges acryliques très pigmentées et saturés qui en séchant semblent créer des dépôts de pigments, appelés des « petits points acidulés qui piquent » par le peintre. Souvent, d’ailleurs, on voit des effets de sédiment, quoique très subtile. Le tout se présente comme une tentative de créer des factures très riches mais fines.
Ce sont des chants de la superficie et de profondeurs inexistants. Ce sont des rencontres d’antagonismes qui se greffent l’une sur l’autre. C’est un très beau travail de peintre, émouvant, dansant et précis.
Montagne de Miel, 14 octobre 2010