ESSAYS, INTERVIEWS & REVIEWS
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Hans Theys
Selfie
Sur des tableaux de Viviane Klagsbrun
Si on veut bien admettre que c’est l’apparition du portrait peint au XVe siècle qui a permis à l’art pictural de s’affranchir et d’accéder à l’autonomie, comme l’écrit l’historien de l’art Dirk De Vos, alors on doit assurément considérer l’autoportrait comme le plus fidèle allié du peintre indigent ou solitaire, qui, à défaut de modèles, est bien contraint de choisir sa propre tête comme sujet de son tableau. Si l’on repense aux autoportraits parlants d’Ensor, ainsi qu’aux autoportraits de Rembrandt, dans lesquels – à en croire Jean Genet – on peut voir comment Rembrandt a transformé la perte de son fils Titus en un amour panthéiste pour la couleur et la matière, alors on déplorera que Vermeer ait apparemment pu disposer de suffisamment de modèles. En même temps, on se réjouira de pouvoir, aujourd’hui, contempler les autoportraits tendres et vrais, tantôt comiques, tantôt tragicomiques, mais toujours rémanents de Viviane Klagsbrun (°1956). Je constate, avec joie, comment ces autoportraits sont devenus des peintures autonomes, où convergent toutes les qualités de Klagsbrun, à savoir son sens simultané de l’humour et du sérieux, son agencement de l’espace pictural, sa façon de jouer avec les couleurs et les différences de texture et, par-dessus tout, sa capacité à créer des peintures qui semblent à tout moment sur le point de se disperser, mais qui se maintiennent par une force mystérieuse, comme si elles étaient reliées par des fils invisibles.
Personne ne sait ce qu’est un « soi ». À défaut du moindre repère en la matière, les gens se définissent en soulignant en quoi ils diffèrent des étrangers ou des hétérodoxes. Cependant, les artistes savent que chaque corps se chante un « soi », jour et nuit, telle une mélodie reconnaissable de rythmes et de motifs, de contrastes et d’harmonies, consignée dans des variations électriques quotidiennement reformulées, nourrie par nos expériences les plus précoces et les plus récentes. Oui, je vois dans ces peintures une chanson, un chant du soi, qui, autrement, n’existerait pas.
Montagne de Miel, 17 janvier 2018
Traduit par Michèle Deghilage