ESSAYS, INTERVIEWS & REVIEWS
Wout Vercammen - 2000 - Kunstenaarsbewegingen in Belgiƫ in de jaren zestig en zeventig [NL, interview]
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Hans Theys
Quelques mouvements artistiques des années soixante et septante
Sept artistes parlent: Luc Deleu, Wout Vercammen, Walter Swennen, Pierre Goffin, Filip Denis, Jacques Charlier et Ronny Van de Velde
Luc Deleu
Deleu: En fait, « VAGA » n’était qu’une dégoutante bande de réactionnaires. « L’assaut du musée a réussi », disaient-ils. Ils avaient leur exposition au musée et ils étaient contents. Il ne s’agissait, en fait, que d’une poignée de personnes cherchant à assurer leurs vieux jours. Le Nicc n’est pas moins réactionnaire. Ce sont aussi des artistes en mal de pension. Je ne comprends pas cela, des artistes qui réclament un statut. J’ai assisté à une des premières réunions du Nicc, c’était Guillaume Bijl qui présidait, et après un certain temps, je me suis levé et j’ai demandé: « Est-ce que l’on peut également choisir de ne pas avoir de statut ? » Ils m’ont alors répondu: « Facile à dire, toi, tu es architecte! » (Eclat de rire.)
Ercola, c’était un groupe de gens qui habitaient ici, un peu plus loin dans le voisinage, et qui se donnaient pour objectif de faire des bandes dessinées. A savoir maintenant s’il s’agissait d’un mouvement d’artistes, je ne le sais pas. A l’époque, c’était une communauté. C’est toujours une communauté, d’ailleurs. Maintenant, ils réalisent des décors pour VTM. Ils éditaient également une revue intitulée « Spruit ». Je ne veux pas me prononcer sur la qualité de ce qu’ils faisaient, mais c’était plutôt en marge de l’art.
Ercola a été invité plusieurs fois à participer à des expositions, entre autres à Bruges. A l’époque, j’ai pris part à ces expositions, par exemple avec un livre d’un mètre sur un. J’ai également fait assez bien de sérigraphies avec George Smits ; à l’époque, je trouvais que c’était un gagne-pain agréable.
Ils ont certainement fait un tas d’autres choses, ici à Anvers, mais c’était dans un tel esprit de clocher. Ici, sur la Dageraadsplein, nous avons alors organisé des fêtes et j’ai fait mettre des drapeaux ici dans la rue.
Qui est-ce qui faisait encore partie de cette bande? La personne avec laquelle j’avais le plus de contacts, c’était Georges Smits, le joueur d’harmonica de Ferre Grignard. Lui, il a fait de la techno avant la lettre. Je connaissais Georges assez bien parce que c’était un ami de Filip Francis.
- Tu vivais avec Filip Francis dans la même maison, où tu vies d’ailleurs toujours et qui abritait la galerie Vacuum?
Deleu: Oui… J’ai fait la connaissance de Filip Francis sur les bancs de l’école maternelle. La galerie « Vacuum » a connu deux ans d’existence. A vrai dire, c’était la galerie de Filip, mais comme nous vivions ensemble, tout le monde s’y impliquait. Quel genre d’artistes a-t-il exposés ? Wout Vercammen, Hugo Duchateau, Georges Smits, Ludo Mich aussi, je crois… Albert Szukalski, me souffle Laurette ici.
Ronny van de Velde aussi y a exposé: des carrés de gazon avec des fleurs en plastique. J’ai toujours une œuvre de lui d’ailleurs: des tomates en plastique dans un bocal à conserves. Ma première exposition aussi fut organisée à la galerie « Vacuum ».
- Qu’est-ce que tu y as exposé?
Deleu: Des travaux d’école. Deux ou trois maquettes, quelques dessins et un collage. L’exposition s’intitulait: « Luc Deleu fait ses adieux à l’architecture. » Un titre qui m’a valu bien des déboires par après. Il y a encore des gens qui ne savent pas qu’en fait ça fait trente-cinq ans que je m’occupe d’architecture. J’aurais mieux fait d’intituler cette exposition: « Luc Deleu Super-Architecte et Multi-Millionnaire. »
Wout Vercammen
Vercammen: On joue de nouveau les nostalgiques? Si j’ai quelque chose à te raconter, je te contacterai.
Walter Swennen
Swennen: Entre ’65 et ’67, Charlier avait fait le groupe « Total’s » à Liège. A ce moment-là, il s’est passé toutes sortes de choses, des happenings, mais dont il ne reste pas de traces…
Il n’y avait pas non plus l’idée de mouvements organisés, on prenait le parti de ne pas laisser des traces… On n’était pas anti-institutionnel, mais en rupture avec l’institution. Ça n’a pas duré… Ça n’a pas duré parce que le marché s’est vite ouvert. Les formes sont devenues les formes de la marchandise, répertoriées, documentées… Des choses vendables qui laissaient une trace pour l’histoire. Nous, on se foutait de ça.
Un élément qui a déclenché beaucoup de choses, c’était le « Living Theater », qui était venu à Bruxelles. Julian Beck. Ces gens avait fait beaucoup d’effet.
- Et « L’entonnoir » ?
Swennen: Le leader du truc était un type qui s’appelait Pierre Goffin. Il doit encore avoir des documents et des affiches. Il a même des œuvres à moi qui datent de cette période. Des choses très pop art. On était dans le mouvement du national pop art, fondé par Marcel.
Il y avait aussi un groupe très éphémère qui s’appelait « Accuse ». C’était conçu selon le même principe : un petit groupe d’amis qui avaient des préoccupations communes, mais pas du tout définitivement artistiques comme on l’entend maintenant. C’était un moment où on voyait que l’art explosait et où ça devenait possible de s’intéresser à toutes sortes de choses et de faire communiquer ça avec l’art.
- Comme quoi, par exemple?
Swennen: La politique, la pensée situationniste, l’emprise de plus en plus forte du pouvoir et des choses comme ça. Je me souviens d‘un type qui avait dessiné un petit plan qui démontrait que inopportunément les caméras que l’on avait installées à Bruxelles, soi-disant pour réguler la circulation, étaient en fait des caméras de surveillance pour filmer les manifestations.
Le groupe « Accuse » éditait une revue très fragmentaire et épisodique, et le groupe s’est dissous sans jamais avoir existé. En fait, on inventait un nom pour pouvoir être éphémère. Je pense que Marcel a eu son mot à dire pour qu’on appelle le groupe « Accuse », mais je ne sais plus très bien.
- Donc, le but de ces groupes était de ne pas exister?
Swennen: Oui, les institutions ne nous intéressaient pas. On trouvait que c’était une perte de temps. Par exemple, je me souviens avoir publié un poème dans une revue qui s’appelait Le square. Je crois qu’il y a eu deux ou trois numéros, qui coûtaient un franc. C’était un stencil de format A4, imprimé des deux côtés. C’était ça la revue. On faisait tout le temps des petites choses comme ça. Ou bien, il y avait des mecs déjà fort organisés qui ne faisaient pas des happenings mais des performances.
- Quelle est la différence?
Swennen: Ah, la différence est énorme! Elle réside dans l’intention et dans le contexte. Le happening est un événement de rupture, de déconcertation, de bouleversement, qui est forcément imprévu. C’ést de l’accidentel constant. La performance c’est quelque chose d’organisé au sein d’un parcours d’ensemble, c’est une activité artistique qui s’inscrit dans une institution. La performance est une forme artistique. Le happening n’était pas une forme artistique.
- C’était quelque chose qui échappait aux formes connues?
Swennen: Oui. Quelque chose qui retirait les chaises d’en dessous les formes assises. (Rires.)
Pierre Goffin
Goffin: J’avais fait la connaissance de quelques jeunes gens dans les bistros de Namur et alentours, des jeunes qui circulaient dans le milieu du rock ‘n’ roll et qui voulaient montrer autre chose. A ce moment-là, il ne se passait absolument rien à Namur. « L’entonnoir », c’était un groupement de jeunes artistes qui ont décidé de se réunir sans se poser des gros problèmes de comment organiser un mouvement. J’ai appelé ça « L’entonnoir » parce que c’était un groupement de gens de tous bords, qui se réunissaient pour faire quelque chose face au « rien du tout » qui les entourait.
Maintenant, je vois qu’il y avait bien des choses. Je n’ai absolument rien contre les vieux artistes namurois qui, à ce moment-là, dessinaient les bords de la Meuse et tout ça, mais nous, on essayait plutôt de comprendre ce que faisait Warhol.
Le premier événement de « L’entonnoir » était une exposition dans le local de la discothèque nationale à Namur. On avait aussi une revue qui s’appelait « La frite libérée ». La première exposition de Walter s’est passée en juin ’66. Il avait organisé un happening au club de jazz de Namur. Ça a d’ailleurs été très mal reçu par la presse namuroise. Il y avait des gens qui dormaient parce qu’ils avaient pris des médicaments. Il y avait un violoniste noir et un violoniste blanc. L’un tenait le violon et l’autre, l’archet. C’étaient des choses assez infantiles quand on le voit maintenant, mais qui, à ce moment-là, importaient, quoi.
Filip Denis
Denis: Tous les vendredis, on se réunissait chez Pierre Goffin. J’ai beaucoup appris de lui. Il organisait des expositions. On a, par exemple, participé à la Foire aux Croûtes à Dinant… On y a même gagné un prix, une coupe en dinanderie.
- Un jour, tu m’as raconté quelque chose sur Pierrot qui avait collé un gâteau au mur.
Denis: C’était une expo, dans une galerie à Namur. Pierrot collectionnait des moisissures. Je me souviens d’une tarte au riz qu’il avait pliée en deux et qu’il avait mise dans une armoire. C’était l’armoire à moisissures. Le vendredi suivant, il retirait cette tarte du cabinet et il l’ouvrait. Entre les deux parties de la tarte se tendaient des fils blancs. Il les caressait en disant: « C’est beau, hein? »
Il avait aussi fait des tableaux où il avait collé des tartes et des trucs de ce genre. C’était peint, mais il y avait aussi des aliments. Pendant un vernissage, au beau milieu de la galerie, il y avait - adossé à une colonne, je pense - un grand sac poubelle et une ramassette dont personne ne savait à quoi elle servait. Tout le monde discutait, comme à un banal vernissage, mais à un moment donné, il y avait une tarte qui se décollait d’un tableau et qui faisait « Schlacq! » en tombant par terre. Alors, Pierrot s’excusait auprès de son interlocuteur, prenait la ramassette et allait racler la tarte qui venait de se décoller. Il la laissait simplement glisser dans le sac poubelle et il reprenait la conversation.
Jacques Charlier
Charlier: « Total’s », c’était une édition. On a fait six numéros. On avait soixante abonnés et on envoyait ça partout. Je recevais une documentation incroyable. J’avais des anarchistes d’Australie qui m’écrivaient, des Polonais, des situationnistes de Strasbourg, des Anglais, des Irlandais. Malheureusement, j’ai jeté toute cette correspondance, mais les numéros qu’on a fait paraître sont assez drôles… Si tu n’en as pas besoin dans l’heure qui suit, je peux peut-être faire une sélection et trouver quelques documents qui feraient ton bonheur… Alors tu peux venir les chercher et en avant marche! Mais je compte sur toi pour me les ramener!
- Le groupe « Total’s », c’était une revue, ce n’était pas un groupe de gens qui se réunissaient?
Charlier: Ah si. C’est ça qui était drôle. On a fait des happenings bizarres. C’était vraiment assez curieux. On éditait une revue, on se réunissait et on faisait des actions. On était, comme activistes, une bonne trentaine quand même. Tu sais, dans les années 60, il y avait des marches anti-atomiques et des machins. Et pour une de ces marches anti-atomiques, nous nous étions mêlés à des provos d’Amsterdam et tout le bazar. Nous avions des sparadraps sur la bouche, nous avions un drapeau transparent et on distribuait des feuilles transparentes aux gens. En fait, on était aussi mal vus par les marcheurs anti-atomiques que par les passants, parce qu’ils se demandaient se qu’on foutait là. Mais il y avait aussi des gens qui aimaient bien, parce que c’était un truc complètement poétique au milieu d’une manif. Tu vois? Une manif transparente… Il en existe des photos qui ont été reprises dans le bouquin de Jean-Louis Brau qui s’intitulait: « Cours, camarade, le vieux monde est derrière toi. » (Rires.)
Ce que j’aimais bien aussi, c’était Total’s Telephone: les gens pouvaient nous appeler pour écouter des surprises. Alors je décrochais, je posais le combiné et je branchais un enregistreur qui crachait de la musique ou autre chose.
Ronny Van de Velde
- Est-ce que tu te rappelles ce jour en 1992 où Hubert Peeters a mis d’un seul coup beaucoup d’œuvres de Broodthaers en vente chez Christie’s? Toutes les galeries belges s’étaient alors liguées pour éviter un effondrement des prix?
Van de Velde: Oui, bien sûr. Il y avait, parmi les œuvres, une petite casserole de moules. Et le fameux fémur belge. Je me souviens que Perlstein a acquis cet os pour deux millions et demi ou trois. Michael Werner était là aussi. Et Maria était pendue au téléphone. Ester Lauder y a également acheté quelque chose. Et qui encore? Micheline Szwajcer et Boymans-van Beuningen.
- Et combien cette vente a-t-elle finalement rapporté? Je me souviens que Brachot était satisfait. « On a évité la catastrophe », a-t-il dit.
Van de Velde: Je ne sais plus. Entre 90 et 120 millions, selon mon estimation. Nous avons calculé cela au café, après la vente. Je crois que les enfants avaient chacun dans les vingt millions. Combien d’enfants a-t-il? Quatre ou cinq, je crois. Donc, cela a dû faire en tout quelque cent millions. Mais ce n’est rien du tout. Lorsque j’avais seize ou dix-sept ans, je me souviens avoir vu une exposition au Middelheim avec des œuvres issues de la collection de Peeters. Je n’oublierai jamais. L’armoire blanche avec les coquilles d’œufs s’y trouvait aussi, un tas de mégots de cigarettes ramollis de Oldenburg, un lavabo soft, un carcrach de Warhol, un Wesselman… Il était fier d’avoir tout acheté directement à Sonnabend. Il avait aussi un suicidé de Warhol. Maintenant, ils font quelque 4 à 5 millions la pièce. Cela revient à quelque 200 millions de francs belges.
Je me souviens d’un dîner chic de plusieurs centaines de milliers de francs chez Van den Bussche à Ostende. Tout le monde était au rendez-vous.
« Si maintenant vous me donniez tous 100.000 francs par an, dit Van den Bussche, je pourrais acheter chaque année une belle œuvre d’art ».
J’étais assis à côté de lui.
« Est-ce que tu ferais cela pour moi ? », me demanda-t-il.
« Bien sûr », lui répondais-je.
« Ronny donne 100.000. Qui d’autre? », demanda-t-il. Mais tout le monde se tut. Deweer était là aussi. Puis, Hubert Peeters se leva soudainement. Il prétendit avoir mal à l’estomac et être un peu fatigué. Et, petit à petit, tout le monde est parti sans débourser un franc.
Montagne de Miel, 2 juin 2000
Traduit par Michèle Deghilage