Hans Theys est un philosophe du XXe siècle, agissant comme critique d’art et commissaire d'exposition pour apprendre plus sur la pratique artistique. Il a écrit des dizaines de livres sur l'art contemporain et a publié des centaines d’essais, d’interviews et de critiques dans des livres, des catalogues et des magazines. Toutes ses publications sont basées sur des collaborations et des conversations avec les artistes en question.

Cette plateforme a été créée par Evi Bert (Centrum Kunstarchieven Vlaanderen) en collaboration avec l'Académie royale des Beaux-Arts à Anvers (Groupe de Recherche ArchiVolt), M HKA, Anvers et Koen Van der Auwera. Nous remercions vivement Idris Sevenans (HOR) et Marc Ruyters (Hart Magazine).

ESSAYS, INTERVIEWS & REVIEWS

xpo - 2010 - Faux Jumeaux - Lettre de Michel François [FR, essay]
Texte , 2 p.

 

Cher Hans,

je ne sais pas très bien comment je dois répondre à ta lettre dans la mesure où c’est d’après ce que je comprend un texte à part entière sur la question des “faux jumeaux” en art et que tu y exprimes ton point de vue de façon théorique, mais aussi pratique disons, et qu’on peut le publier tel quel.
Je respecte bien sûr ton avis mais je veux être certain de le comprendre: le message est ambigu et c’est un peu compliqué pour moi d’y voir clair. D’un côté tu dis que c’est “un beau projet”, et que tu veux y participer, et tu répètes les propositions que tu m’as faites en précisant laquelle tu préfères, mais de l’autre côté tu dis que tu n’y “crois pas”, que tu ne crois pas qu’il existe deux oeuvres d’art qui ont la même forme et que si cela existe tu ne veux pas le savoir, car cela donnerait raison à ceux qui considèrent les oeuvres d’art comme des enveloppes d’idées. Comment peux tu dans ce cas encore imaginer participer à un tel projet ?

C’est un beau projet ou un projet à la con ?

Certains philosophes défendent l’idée que le monde est constitué d’un nombre fini de formes. C’est d’une certaine façon la question qui se pose dans ce projet.

Depuis le début j’ai aimé ta première proposition celle de Francis Alys et de Robert Dupéroux (la trace de peinture) car c’est le même geste fait avec des intentions très différentes; cette différence il reste à la démontrer, à l’expliquer, à la faire valoir. C’est domage que tu aies abandoner cette piste, même si j’ai compris pourquoi (pas envie d’avoir à faire avec un dingue).
Si tu me cites dans ton texte il faut que je sois d’accord avec cette citation: « car les curateurs mettent toujours ensembles des œuvres qui se ressemblent (d’un point de vue thématique ou formel), mais qui réellement sont très différents » - Cela n’est pas ce que j’ai dit, ou du moins ce n’est pas ce que j’ai voulu dire.
Ce que j’ai voulu dire à propos des curateurs c’est qu’ils choisissent généralement des oeuvres différentes formellement mais en lequelles ils reconnaissent un degré de contenu semblable; et ils font la preuve de leur intelligence, ou de leur sensibilité si on veut, en nous les présentant ensemble et simultanément. C’est dans ce sens que le choix Tyfus/Delepeleire me paraît ressembler à cette méthode classique disons. Car pour moi ces deux peintures ne se ressemblent pas du tout, tu l’auras compris. Je suis peut être trop sensible à certaines différences (figuration-abstraction) qui pour toi sont accessoires. Je connais ton attention aux textures, et c’est sans doute ce qui rend ces deux peintures jumelles dans ton regard, mais pour moi la texture n’est pas tout.

Quant aux blocs de chocolats, je ne me suis jamais demandé si je “devais adopter ce grand format”, il n’en a jamais été question; ce fut l’occasion pour moi de réfléchir aux différences entre les attitudes américaines et européennes, via le format entr’autre, en ce sens j’ai put évoquer l’éfficacité américaine pour faire bouger l’histoire de l’art etc mais sans regret ou envie, tu peux me croire, car tel ne fut jamais mon projet.

Il y a en effet une grande identité formelle entre les miroirs renversés de Pistoletto et ceux de Ann Veronica, jusqu’aux titres; étant donné cette identité qu’en est il du style en art ? de la signature de l’artiste ?  Les différences de titres, l’un affirmant la présence d’un m3 d’infini, l’autre son absence, nous disent ils quelque chose sur la féménité de l’un ou la masculinité de l’autre? Qu’est ce que cette gémélité dit sur le vingtième siècle et la possibilité récente en art de produire des oeuvres identiques, depuis Duchamps peut être, à partir du moment où les matériaux précontraints, industriels et ready made, sont devenus accessibles au champs de la pratique artistique ? Par ailleurs je trouve que c’est un duo intéressant parce qu’il s’agit de miroirs retournés sur eux mêmes dans un contexte de doubles et de jumeaux. Bien sûr ils sont différents, et ce sont ces différences qu’il faut analyser, décrire et faire valoir.
Je suppose que tous ces arguments ne suffiront pas à te convaincre et  que tu ne vas “pas croire” à ce “beau projet” après cet échange de courrier, mais voilà,  moi, je veux le défendre, et j’y crois; sans non plus le prendre trop au sérieux, sais tu, cher ami ?

Michel