ESSAYS, INTERVIEWS & REVIEWS
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Hans Theys
Quelques mouvements artistiques
des années soixante et septante
Conversation avec WalTer swennen
Swennen : Entre ’65 et ’67, Jacques Charlier avait fait le groupe Total’s à Liège. A ce moment-là, il s’est passé toutes sortes de choses, des happenings, mais dont il ne reste pas de traces…
Il n’y avait pas non plus l’idée de mouvements organisés, on prenait le parti de ne pas laisser des traces… On n’était pas anti-institutionnel, mais en rupture avec l’institution. Ça n’a pas duré… Ça n’a pas duré parce que le marché s’est vite ouvert. Les formes sont devenues les formes de la marchandise, répertoriées, documentées… Des choses vendables qui laissaient une trace pour l’histoire. Nous, on se foutait de ça.
Un élément qui a déclenché beaucoup de choses, c’était le Living Theater, qui était venu à Bruxelles. Julian Beck. Ces gens avait fait beaucoup d’effet.
- Et L’entonnoir’ ?
Swennen : Le leader du truc était un type qui s’appelait Pierre Goffin. Il doit encore avoir des documents et des affiches. Il a même des œuvres à moi qui datent de cette période. Des choses très pop art. On était dans le mouvement du national pop art, fondé par Marcel (Broodthaers).
Il y avait aussi un groupe très éphémère qui s’appelait Accuse. C’était conçu selon le même principe : un petit groupe d’amis qui avaient des préoccupations communes, mais pas du tout définitivement artistiques comme on l’entend maintenant. C’était un moment où on voyait que l’art explosait et où ça devenait possible de s’intéresser à toutes sortes de choses et de faire communiquer ça avec l’art.
- Comme quoi, par exemple?
Swennen : La politique, la pensée situationniste, l’emprise de plus en plus forte du pouvoir et des choses comme ça. Je me souviens d‘un type qui avait dessiné un petit plan qui démontrait qu’inopportunément les caméras que l’on avait installées à Bruxelles, soi-disant pour réguler la circulation, étaient en fait des caméras de surveillance pour filmer les manifestations.
Le groupe Accuse éditait une revue très fragmentaire et épisodique, et le groupe s’est dissous sans jamais avoir existé. En fait, on inventait un nom pour pouvoir être éphémère. Je pense que Marcel (Broodthaers) a eu son mot à dire pour qu’on appelle le groupe Accuse, mais je ne sais plus très bien.
- Donc, le but de ces groupes était de ne pas exister ?
Swennen : Oui, les institutions ne nous intéressaient pas. On trouvait que c’était une perte de temps. Par exemple, je me souviens avoir publié un poème dans une revue qui s’appelait Le square. Je crois qu’il y a eu deux ou trois numéros, qui coûtaient un franc. C’était un stencil de format A4, imprimé des deux côtés. C’était ça la revue. On faisait tout le temps des petites choses comme ça. Ou bien, il y avait des mecs déjà fort organisés qui ne faisaient pas des happenings mais des performances.
- Quelle est la différence ?
Swennen : Ah, la différence est énorme ! Elle réside dans l’intention et dans le contexte. Le happening est un événement de rupture, de déconcertation, de bouleversement, qui est forcément imprévu. C’est de l’accidentel constant. La performance c’est quelque chose d’organisé au sein d’un parcours d’ensemble, c’est une activité artistique qui s’inscrit dans une institution. La performance est une forme artistique. Le happening n’était pas une forme artistique.
- C’était quelque chose qui échappait aux formes connues ?
Swennen : Oui. Quelque chose qui retirait les chaises d’en dessous les formes assises (rires).
Montagne de Miel, 2 juin 2000
