Hans Theys est un philosophe du XXe siècle, agissant comme critique d’art et commissaire d'exposition pour apprendre plus sur la pratique artistique. Il a écrit des dizaines de livres sur l'art contemporain et a publié des centaines d’essais, d’interviews et de critiques dans des livres, des catalogues et des magazines. Toutes ses publications sont basées sur des collaborations et des conversations avec les artistes en question.

Cette plateforme a été créée par Evi Bert (Centrum Kunstarchieven Vlaanderen) en collaboration avec l'Académie royale des Beaux-Arts à Anvers (Groupe de Recherche ArchiVolt), M HKA, Anvers et Koen Van der Auwera. Nous remercions vivement Idris Sevenans (HOR) et Marc Ruyters (Hart Magazine).

Joost Pauwaert - 2025 - Een apocalyptische triomftocht [NL, interview]

10 p.

 

 

 

 

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Hans Theys

 

 

Un cortège triomphal apocalyptique

 

Quelques mots à propos d’une affaire cinétique

 

 

Introduction

 

Le samedi 26 octobre 2024, Joost Pauwaert souhaite faire passer un étrange cortège dans le centre-ville de Gand. à onze heures du matin, je lui envoie un texto pour demander si je peux faire quelque chose. « Certainement », répond-il. Et : « Tu es le bienvenu. » Quand ma fille Oona, dix ans, et moi arrivons, il lui demande si elle veut décorer les sculptures mobiles avec des ballons. Il lui montre comment faire fonctionner la bouteille de gaz, fait un nœud à un ballon et attache une ficelle autour. « Tu peux les accrocher où tu veux », dit-il. Il me tend une bobine. Puis-je prendre soin de l’électricité ?  J’entre dans la cathédrale et cherche une prise. Ensuite, je suis invité à décorer un clocher ambulant de lierre, de fleurs et de ballons. L’activiste et photographe Martijn De Meuleneire vient en aide. Oona nous tend des ballons frais. 

     Petit à petit, le cortège prend forme. Pauwaert marche tranquillement d’avant en arrière, montre aux volontaires qui arrivent comment connecter des petites bombes et résout des problèmes techniques. Une potence à deux pieds est érigée sur une charrette de ferme. Elle devra tenir un piano suspendu. Les hommes qui s’en occupent ont des échelles, mais ne savent pas comment monter et sécuriser la traverse en même temps. Pauwaert saute sur le chariot, saisit les deux aisselles triangulaires qui supporteront plus tard la traverse et les visse à hauteur de hanches, de manière à disposer d’une marche pour fixer la traverse. Je n’ai jamais vu quelqu’un improviser plus rapidement, efficacement, dans le calme, de bonne humeur. 

     Trois heures plus tard, le cortège s’est déployé silencieusement, comme un papillon sortant de son cocon. Deux batteurs marchent devant, suivis d’une longue fusée sur roues, pilotée par le père de Pauwaert et l’artiste Willem Boel, paré d’une queue de pie et d’un chapeau melon. Un cortège de mini-voitures est tiré par Rho, la fille ainée de Pauwaert. Des amis portent des drapeaux dorés. Quatre artistes impressionnants et persévérants font basculer le clocher roulant sur les voies du tramway et les pavés pour changer de direction. Francesco Coniglione et moi conduisons le lourd chariot à potence qui porte un piano suspendu. Le chariot est poussé par trois personnes costaudes, dont l’infatigable peintre et performeur Karel Thienpont.  

     Jamais auparavant je n’ai vu autant d’artistes se réunir pour collaborer sur une même œuvre. Il n’y a pas de frictions. Chacun semble prendre automatiquement la place qui lui convient. Oona porte un drapeau doré. Elle s’est détachée des autres porte-drapeaux. Le vent tire sur le long bâton de bambou. Elle tient le coup très longtemps. 

     Depuis une heure, de plus en plus de spectateurs se rassemblent autour de nous. 
Les plus courageux demandent « de quoi il s’agit », « quelle est notre intention », « s’ils peuvent prendre des photos », « si cela est prévu », « si cela fait partie d’un programme officiel », « si des informations peuvent être trouvées quelque part à ce sujet ». Ils sont agréablement confus. Ils sont attirés par l’insolite, mais se méfient. Où est le piège ? S’agit-il d’un fou qui glorifie la guerre ou d’un pacifiste qui donne forme à un réquisitoire maladroit ? De nombreuses questions circulent sans trouver de réponses. Lorsque le cortège se met en mouvement, il y a une haie de personnes qui ne cesse de s’agrandir au fur et à mesure que le cortège avance. Chacun laisse tomber l’activité en cours et se rapproche pour mieux voir les choses. Des amateurs de photographie se frayent un chemin à travers le cortège pour faire de belles images. Les batteurs indiquent la cadence, de la fumée noire s’échappe de la fusée, la cloche sonne, les drapeaux dorés flottent dans un bruit de claquement, le piano pendouille et fait pencher dangereusement le chariot. Un feu d’artifice crépite, une explosion crée un nuage en forme de champignon. Pauwaert va et vient, allume la poudre à canon et les feux d’artifice, signale les dangers. Le cortège s’arrête à mi-chemin et la corde qui maintient le piano est coupée. L’instrument tombe sur le chariot et le cortège reprend. 

     En mai 1989, à l’âge de vingt-six ans, j’aidais Panamarenko à construire son exposition solo au M HKA lorsqu’il m’a proposé de visiter le Sinksenfoor, un ensemble d’attractions foraines situées sur une place voisine. À cause de la fluidité de cette transition, j’ai cru voir une similitude entre l’exposition pétillante (avec les mites dans les roseaux qu’il a fait vibrer pour moi) et les nombreux stands avec des engins mobiles, le bruit, les détonations et les hurlements des attractions, le mélange d’odeurs acides ou grasses et de parfums bon marché ; les cris, les bribes de musique et les conversations balayées par le vent. L’ensemble m’a semblé être une collection vivante de centaines de constructions battantes, bourdonnantes ou cliquetantes de Tinguely et de Panamarenko, se manifestant autour de moi comme un opéra de Puccini ou un film de Fellini. En accompagnant le cortège triomphal apocalyptique de Pauwaert, je me souviens de cette vielle rêverie et je suis heureux de constater qu’elle s’est réalisée.  

     Après huit cents mètres de marche, de traînage, de fouille, d’effarouchement, de bousculade, d’écoute et de jouissance, le cortège aboutit au triple espace de la galerie Barbé, qui se remplit progressivement du matériel traîné. Il s’y trouve déjà quelques photos de nuages ​​​​de champignons faits maison et un drone noir avec des lampes vertes. Il y a aussi un long piédestal sur lequel est garée la série de voitures en tôle. La grande fusée s’intègre parfaitement dans l’espace central. Une exposition comme un parking. La plus belle action et la plus belle exposition que j’ai jamais vues. Je suis aux anges. 

 

 

Conversation

- Nous sommes aujourd’hui le 25 février 2025, soit exactement quatre mois après le défilé. Il est temps de se demander d’où venait l’envie de cette image cinétique, avant que tu ne l’oublies. Posée comme ça, c’est une question idiote, je l’avoue. Personne ne veut savoir d’où viennent nos désirs. Quelle image cherchais-tu, je veux dire. Que voulais-tu voir, ressentir ? 

Joost Pauwaert : Pour autant que je m’en souvienne, l’image vient de deux moments différents. En lisant un livre sur Napoléon, je me suis soudain rendu compte que le passage d’une armée devait être un événement époustouflant pour des gens qui autrement n’avaient vécu que peu de choses spectaculaires, n’ayant jamais visité de parcs d’attractions ni assisté à des opéras ou des matchs de foot dans un stade. Ils étaient accrochés à leurs fenêtres, ils bordaient la rue. Il y avait beaucoup d’uniformes différents et de chevaux avec leurs propres décorations et accessoires. Il y avait un orchestre, il y avait le train des équipages avec son vacarme de casseroles et de poêles. Cela a dû être très impressionnant. Le deuxième moment s’est produit lors de la lecture répétée d’un livre musical. Le livre préféré de mon fils Francis est Pierre et le loup. Chaque page contient son propre fragment musical. J’avais remarqué qu’il était toujours très enthousiasmé par la procession finale. Pierre s’y promène avec l’oiseau, le loup est capturé, le grand-père grogne et les chasseurs suivent. Ils font beaucoup de bruit, c’est un défilé joyeux, tous les personnages et instruments de musique sont réunis. C’est ainsi que m’est venue l’idée de combiner le passage d’une armée avec un joyeux cortège. 

- Je comprends le désir de créer une sorte d’opéra / parc d’attractions itinérant, mais si j’essaie d’être critique, comme l’attendent de moi les anthropologues du futur, je dois te demander s’il s’agit ici de plus que d’une sorte d’envie infantile de spectacle. 

Pauwaert : J’ai récemment découvert que toute bonne œuvre d’art est constituée d’énergie. Quand je suis revenu de Londres l’année dernière et que je t’ai parlé d’une esquisse impressionnante de Rubens que j’avais vu, tu as tout de suite compris de quelle œuvre il s’agissait.  

- « Une chasse aux lions » à la National Gallery. 

Pauwaert : Quand j’ai vu cette chose inachevée, pleine d’énergie sauvage, j’ai dû vivre la même expérience que Rothko, qui, voyant des peintures à moitié terminées de Turner, a décidé qu’il voulait aussi faire quelque chose comme ça. 

- Dans tout ce qui est vivant, l’énergie, sous forme de pulsions, arrive à des formes plus viables, qui résultent de la rencontre entre les possibilités dormantes de l’organisme et l’environnement changeant. Von Humboldt appelait cela « le désir de la forme ». Nietzsche a repris cette image, en lui donnant un nom maladroit. Je suis désolé d’ajouter cette remarque à ton appréciation d’une œuvre d’art réussie comme de l’énergie visualisée, appréciation que je considère sensée et libératrice.

Pauwaert : Parfois l’énergie est joyeuse, parfois agressive, mais sans énergie il n’y a pas d’œuvre d’art. 

- Vraisemblablement, rien n’est plus arriéré et méprisable que le nationalisme, le patriotisme, le bellicisme et le culte des héros. Tu n’es pas un macho. Pourquoi la présence d’armes dans ce défilé et dans ton travail en général ? Tu viens de parler d’une « énergie sauvage » que tu as trouvée chez Rubens. Des gens qui découvrent ton travail pour la première fois n’y voient parfois que de l’agressivité.  

Pauwaert : Parce qu’ils ne regardent pas de près.   

- Qu’est-ce qui leur échappe ? 

Pauwaert : Des détails amusants, des anomalies, des paradoxes, des contradictions, des ambiguïtés. Pendant le défilé, j’ai entendu une femme dire que nous glorifiions la guerre. Mais une autre femme lui a répondu que nous voulions peut-être avertir les gens. Comme tu le sais, j’ai été photographe de guerre. Rien n’est plus désespérant que ces massacres organisés. Mais les armes, les chars, les avions et les missiles sont aussi de très beaux appareils. 

- Selon Le Corbusier, un avion est beau parce qu’il doit pouvoir voler. La beauté vient des lois de la nature. La mécanique des armes est fonctionnelle. Je pense que les œuvres d’art se distinguent aussi par leur économie. Leur forme est nécessaire : économique, minimale et lisible. Même dans une œuvre baroque. 

Pauwaert : Si on regarde posément la grande fusée qui a ouvert la procession, on ne voit pas une fusée, mais une sculpture. En raison de l’aspect abîmé, de la patine, du matériau utilisé. 

- Il y a quelque chose de maladroit dans la fusée. Elle semble meurtrie et usée. Elle fait penser à une relique, à un objet inqualifiable qui, s’étant écrasé dans une jungle, est vénéré par les locaux. Sa taille et ses proportions font également penser à une vache primée qui défile aux côtés de l’éleveur lors d’une foire. 

Pauwaert : Le cuivre ne convient pas comme matériau pour une fusée. Cela commence déjà par ça. De plus, la fusée a été sablée, ce qui lui a laissé la peau grêlée. Cette peau crée l’impression que la fusée a été au fond de l’océan pendant un certain temps et qu’elle a été exposée à une surpression. La colère s’est dissipée. C’est devenu un objet poétique insaisissable. Ensuite, je lui ai appliqué une patine bronze classique en chauffant du nitrate de cuivre avec un brûleur de porc. Au lieu d’un missile vivant et menaçant, c’est devenu une relique terne. C’est la première sculpture que j’ai réalisée pour le défilé. Je ne me souviens pas pourquoi je voulais la faire. Je pense avoir eu une vague idée d’une sorte de défilé soviétique. 

- Qu’est-ce qu’un brûleur de porc ?  

Pauwaert : Un chalumeau à gaz pour souder une toiture. Tu peux aussi l’utiliser pour brûler les poils d’un cochon. Dans le temps, ça se faisait avec de la paille. 

- As-tu déjà fait ça ? 

Pauwaert : Oui. J’ai vécu en totale autosuffisance pendant plusieurs années. J’avais deux petits enfants, comme aujourd’hui, et je vivais dans une ferme, comme aujourd’hui également. J’avais mon propre potager, je cultivais des pommes de terre et j’achetais chaque année deux porcelets à engraisser. C’est ainsi que j’ai découvert que c’est possible d’être autosuffisant, mais que ça ne laisse pas le temps pour faire autre chose. 

- Aujourd’hui, tu n’abats plus d’animaux. Tu es végétarien.  

Pauwaert : Quand j’ai lu ton gros livre sur Panamarenko, j’ai trouvé un passage dans 
lequel tu écris que certains artistes ont clairement grandi dans un verger envahi par la végétation ou dans un grand parc comme le Rivierenhof à Deurne. Selon toi, c’est là l’origine de leur besoin de créer une sorte d’espace vivant. Je me reconnais là-dedans. En tant que petit agriculteur autonome, mais aussi en tant qu’artiste. 

- Retournons au défilé. Deux batteurs marchaient devant. De vrais musiciens, semble-t-il. 

Pauwaert : Oui. L’un est batteur, l’autre ténor et violoncelliste. Ils ont indiqué la cadence. 

- Derrière eux venait la fusée, dirigée par deux hommes : ton père et l’artiste Willem Boel, qui portait un chapeau melon et une queue de pie. J’ai trouvé cela très réussi, parce qu’on comprenait encore moins quel était le but du défilé. Pourquoi portait-il ce costume ? 

Pauwaert : J’ai demandé à tous les participants s’ils pouvaient s’habiller comme pour des funérailles. « Pas les funérailles d’un membre de la famille », avais-je écrit, « mais d’une personnalité importante ». Ce sont eux-mêmes qui ont eu l’idée de porter des costumes 
à l’ancienne. 

- A l’avant, la fusée était soutenue par une belle roue, qui semblait beaucoup trop grande et donnait l’impression d’une grande solidité, comme si on l’avait détachée d’un véritable avion. 

Pauwaert : C’était la roue avant de la Toeterkar, une œuvre d’art temporaire basée sur un chariot à fumier à trois roues du XIXe siècle. Les deux roues arrière de la fusée provenaient d’une vieille remorque possiblement de l’armée, car elle était verte. 

- Un panache de fumée noire s’échappait de la fusée. 

Pauwaert : J’avais connecté des fumigènes noirs dans sa queue. 

- Après la fusée sont venus des soldats en marche, sous la forme de poupées suspendues faites maison. 

Pauwaert : Je voulais faire défiler des soldats napoléoniens. De nombreuses personnes aiment participer à des reconstitutions de batailles, mais il est difficile de les motiver pour un événement individuel. Ils aiment se préparer pour une bataille spécifique. C’est pourquoi j’ai fabriqué des poupées en paille suspendues à une sorte de palan qui les laissait pendre devant une charrette de ferme. C’étaient des grenadiers napoléoniens coiffés de bonnets à poils. Sur le chariot lui-même se trouvait un grand gâteau de mariage en triplex plié, peint en blanc, surmonté d’une tête de soldat. Cette tête contenait un kilo de poudre à canon que j’ai fait exploser. Le chariot produisait également un écran de fumée blanche rappelant le brouillard. Dans une vidéo de la procession j’ai vu des images où l’on dirait que les soldats marchent dans le brouillard. S’il y a une image à laquelle j’avais pensé auparavant, c’est bien celle-là. 

- Comment est née l’image de la chaîne de voitures en tôle ? 

Pauwaert : Lors de manifestations violentes ou d’émeutes de rue, on incendie parfois des voitures. Les petites voitures étaient censées brûler, mais j’ai oublié de les remplir de matériaux inflammables : du bois et des feux d’artifice. Oliver les a rapidement bourrées
du papier journal, mais cela n’a pas suffi. 

- Comment as-tu fabriqué les voitures ? 

Pauwaert : Elles sont constituées en partie de tôle d’acier et en partie d’aluminium, découpées avec des cisailles de ferblantier, reliées avec des rivets et pulvérisées de vernis alkyde. Les roues en multiplex sont réalisées avec une perceuse à cloche, les autres sont des trouvailles aux puces. Le Range Rover devait avoir des roues lourdes 
et encombrantes, la Peugeot 205 des roues petites et rigolotes. Il y avait aussi une Renault Espace. Et une limousine Rolls Royce. 

- Ensuite venait une sculpture constituée d’une sorte de bombe fixée sur la base d’une voiture ou d’un cheval que l’on peut mettre en mouvement en insérant une pièce de monnaie, généralement à la sortie d’un supermarché.  

Pauwaert : Un kiddie ride.

- Cette œuvre m’a rappelé le baron von Münchhausen volant sur un boulet de canon. Et Stanley Kubrick. 

Pauwaert : La bombe est en aluminium plié et riveté sur un moule en bois. Le tout était transporté sur un chariot. Une autre sculpture, rappelant une bombe de la Seconde Guerre mondiale, se trouvait sur la base d’un landau pour enfants des années 1960. Il est composé de cuivre brasé et de pièces de chaudière, sablés et patinés. 

- Puis il y avait une sculpture avec une tête de cheval portant une lampe rouge. 

Pauwaert : La sculpture du cheval Friedland (d’après un des chevaux de Napoléon) se compose d’un compresseur qui repose sur le châssis d’un landau. J’y ai attaché une tête de cheval en bronze, trouvée chez le ferrailleur. Je l’ai sablée et lui ai donnée une patine foncée. J’ai bleui le compresseur de la même manière qu’on bleuit les armes : on chauffe le métal et on le couvre avec de l’huile de lin. J’ai moi-même peint l’ampoule en rouge. 

- Pour une autre sculpture, tu as combiné un compresseur avec des instruments à vent. 

Pauwaert : Un cor de chasse et une trompette de chasse. L’intention était d’utiliser le compresseur pour souffler dans la trompette, mais la pression était beaucoup trop élevée et je n’ai jamais eu le temps de concevoir un système pour réduire la pression. Les instruments proviennent de Pierre et le loup

- Ensuite, il y avait le clocher roulant qui contenait en bas le moule en bois d’un canon auquel tu as mis le feu. 

Pauwaert : Le chariot de l’urgence. Cela vient de l’idée qu’on sonnait l’alarme et célébrait les événements solennels ou joyeux avec des cloches et des coups de canon. Je voulais réunir ces choses dans un engin mobile. Au début, je voulais y accrocher plusieurs cloches en bronze, mais celles-ci se sont avérées très chères. J’ai acheté une cloche, fabriquée en 1948, 120 kilos, avec un joli son. Comme il n’y avait pas de battant, j’en ai fabriqué un moi-même avec un boulet de canon en fonte de sept kilos attaché avec une tige de 20 mm de diamètre. Mais comme il n’y avait pas de contre-écrou en bas, la boule se détachait. Je l’ai vu juste à temps, sinon elle serait tombée. Ensuite, nous devions continuellement grimper jusqu’à la cloche pour serrer l’écrou. J’ai récemment vu Fitzcarraldo de Werner Herzog. Il y a une scène dans laquelle le personnage principal grimpe dans le clocher de l’église et fait sonner frénétiquement la cloche pour exiger que son opéra soit joué. Je veux faire ça aussi. En tant que photographe de guerre, on a une excellente excuse pour être présent dans un endroit inhabituel. En fait, je crée constamment des situations dans lesquelles je suis autorisé à faire des choses que je ne peux ou ne devrais normalement pas faire. 

- Puis venait la charrette de ferme avec le piano suspendu qui se balançait de gauche à droite. Tu avais peur que le chariot bascule dans un virage. L’œuvre me faisait penser à une potence ou à une guillotine. 

Pauwaert : Je ne voulais pas que cela ressemble à une potence, mais si on pense purement fonctionnellement, on arrive automatiquement à cette forme. Les potences ont une construction minimale. Les crosses d’armes à feu, les canons et les poignées de poêles étaient autrefois décorés, mais pas les potences, à ma connaissance. Le piano qui tombe vient des dessins animés, il est apparenté aux enclumes qui tombent. 

- Tu as dit avoir été agréablement surpris par le bruit des drapeaux dorés. 

Pauwaert : Des couvertures thermiques flottantes en mylar comme intervention poétique. J’ai volé cette idée à Cosco, qui un jour a utilisé une telle couverture comme drapeau. 

- Après la procession, les œuvres ont été garées dans la galerie. J’ai trouvé ça fantastique. Cela donnait à l’ensemble de l’entreprise quelque chose de fonctionnel : les œuvres devaient être amenées à la galerie. Pourquoi pas à pied ? La semaine précédente, tu as essayé toutes les solutions spatiales possibles pour que les œuvres puissent être installées immédiatement. C’était comme un tour de magie. La fusée s’insèrait parfaitement dans l’espace central, accessible par une large porte. « Paraluminor » était accroché à l’arrière : un drone noir avec des lumières vertes en bas. 

Pauwaert : A l’origine, Paraluminor devait se joindre au cortège, soutenu par de très longs bâtons. Mais la sculpture était trop lourde et en même temps trop fragile pour être portée par plusieurs personnes marchant. 

- Il y avait aussi quelques photos de fumées en forme de champignon que tu as rehaussées. Peux-tu nous parler de ces expériences ? 

Pauwaert : Pendant le défilé, j’ai aussi créé une fumée en forme de champignon lorsque la tête du soldat a explosé. Au cours de A New Study for the End of the World, il m’est arrivé de générer une fumée en forme de champignon avec une bombe à poudre d’un demi-kilo. Je l’ai vue sur les photos, dont certaines ont été repeintes. Quand j’ai voulu recréer un nuage comme celui-là, cela s’est avéré n’être pas si simple. Pour un vrai champignon, il faut plusieurs tonnes de TNT. Les gaz chauds qui s’élèvent transportent la poussière et autres déchets vers le haut jusqu’à ce qu’ils refroidissent et prennent la même température que l’environnement ce qui fait qu’ils redescendent. Si on souhaite obtenir un tel effet avec un kilo de poudre à canon, on a entre autres des problèmes avec le vent. L’explosion ne peut pas non plus être trop puissante, parce qu’alors elle prend une forme d’étoile. J’ai réussi plusieurs fois.  

- Au fond de la galerie se trouvait une petite sculpture constituée de petites enclumes empilées soutenant un lapin. Une sculpture de ta fille Alice. 

Pauwaert : Notre jardin regorge d’enclumes, de boulets de canon et de marteaux soudés ensemble. Les enfants m’imitent, bien sûr. Alice avait placé les enclumes les unes sur les autres et avait réalisé une sorte de tour Brancusi. J’ai ajouté le lapin. 

- Pour finir, voudrais-tu nous parler de la fontaine que tu as réalisée la semaine dernière ? 

Pauwaert : L’été dernier, j’ai visité l’endroit en Allemagne où j’ai grandi. Allongé au bord de la piscine, sentant l’odeur de la friterie voisine, j’ai eu un flash-back proustien. Les odeurs de chlore et de graisse qui se mélangent ! Deux odeurs dégoûtantes, impossibles à combiner, mais qui ensemble rappellent de beaux souvenirs. J’ai donc eu l’idée de deux fontaines, chacune produisant son propre parfum, ou d’une fontaine qui produirait les deux parfums en même temps. Bien sûr, ce n’est pas possible. De l’eau qui entrerait en contact avec de la graisse bouillante se transformerait immédiatement en vapeur qui entraîne avec elle les particules de graisse à mesure qu’elle monte et peut facilement se transformer en jet de flamme. Les pompiers exigeaient donc que les friteuses se trouvaient loin de la fontaine. Parce que je voulais une grande fontaine, j’ai amené un empilement de poutres en I que j’ai soudées ensemble sans croquis préalable à l’aide d’un chariot télescopique. Les gens aiment construire des tours. La nécessité de stocker de l’eau au-dessus m’a amené aux barils de pétrole. J’y ai fait des trous en tirant dessus avec un fusil. Il y avait aussi une rivière en cascade qui coulait le long d’un profil. Parce que les enfants y jetaient toutes sortes de déchets – brindilles, terre, feuilles – tout s’est bouché, faisant déborder l’eau et obstruant une pompe qui tournait à sec. C’était magnifique. 

 

 

Montagne de Miel, 25 février 2025